Réjouit l’âme et l’esprit !
5/5 Le blog d’Antoine de Lacoste.
.----. Rouen vit de grandes heures, en cette année 1449. Les Anglais reculent dans toute la Normandie face à l’armée française commandée par Dunois, le plus brillant capitaine du roi Charles VII. La ville qui se donna aux Anglais attend maintenant de changer de maître.
Elle ne craint pas de représailles : le roi est habile et ses reconquêtes sont toujours suivies de pardon général. Ainsi, les portes s’ouvrent plus facilement.
Dans sa bibliothèque, Guillaume Manchon se souvient. Dix-huit ans auparavant, la Pucelle a été brûlée vive, à quelques pas de là, à l’issue d’un procès inique. Il y a assisté en raison de sa fonction : prêtre doté d’une belle écriture et bon latiniste de surcroît, il était devenu le libraire de l’archevêché et, donc, greffier de tous les actes qui concernaient l’Église.
C’est lui qui avait rédigé le procès-verbal du procès et de la condamnation. Il l’avait fait avec honnêteté, refusant de falsifier les déclarations de Jeanne, comme le lui demandait l’évêque Cauchon, maître du procès. Et puis l’oubli volontaire était tombé sur les cendres dispersées dans la Seine. La honte, aussi, qui empêchait toute allusion à la Pucelle. Mais maintenant, « bientôt les Anglais seraient chassés. Le passé entrerait dans le présent comme le roi de France dans les rues de Rouen ; l’histoire de la suppliciée sortirait du sac et ferait pâlir le jour. »
Pourtant, un homme était venu longuement consulter les minutes du procès, en 1435. Et pas n’importe qui : Thomas de Courcelles, le plus grand théologien de la Sorbonne, institution dévoyée qui prit le parti des Anglais. Que voulait-il, cet homme illustre qui avait demandé, au cours du procès, la torture contre Jeanne ? Vérifier si cela avait été consigné ? Car si le vent tournait un jour… Et c’est lui que Guillaume entend en confession, un soir, dans une église : « »Les mots qui tombaient de ce visage incliné, noyé d’ombre, l’atteignirent aussi rudement que le vent glacé au ras du sol. Il ne pouvait douter de ce qu’il venait d’entendre. Dans le silence la voix du prêtre s’éleva : Ego te absolvo… Le secret de la confession s’était refermé sur les deux hommes. »
Une fois de plus, le talent de Michel Bernard nous donne un très beau moment de littérature. Après Le Bon Cœur, biographie littéraire et passionnante de Jeanne d’Arc, l’auteur nous entraîne dans la réhabilitation de celle qui sauva la France. Histoire et littérature s’entremêlent avec bonheur. La maîtrise du style, la qualité des descriptions, le développement savamment distillé de l’intrigue forment un ensemble très convaincant. Sans un dialogue, sans artifice, par son seul talent, Michel Bernard nous réjouit l’âme et l’esprit. [ Le blog d’Antoine de Lacoste. ]