Version augmentée de l'original de 1966 paru aux Éditions du Renouveau. « Il faut le reconnaître, la période connue au Québec comme la Révolution tranquille fut probablement la décennie ayant eu le plus grand impact dans le développement et le modelage du Québec moderne, pour le meilleur avec des avancées sociales réelles et une réappropriation relative du monde économique par les Québécois, mais aussi pour le pire, notre peuple ayant sacrifié son âme, tel Faust, pour obtenir de pareils gains. « Cette période charnière de notre histoire est associée à plusieurs noms qui sont passés à la postérité, tels ceux de Jacques Parizeau, Jean Lesage, René Levesque, etc. Beaucoup moins connu est celui de Gilles Dandurand. C'est que contrairement aux premiers, celui-ci ne fut pas un des moteurs de cette révolution, mais un témoin lucide qui agita un drapeau de détresse telle une Cassandre. Il aurait pourtant fallu l'écouter, car ses prophéties, aussi alarmistes pouvaient-elles sembler autrefois sont rétrospectivement bien en-dessous de la réalité. « D'abord il faut se rappeler que si cette décennie en fut une de bouleversements sociaux et étatiques, elle fut aussi une période où les bombes felquistes déchiraient l'air de Montréal, où les travailleurs québécois sortaient dans les rues pour débrayer et où les étudiants goûtaient au fruit de la contestation et se rêvaient en Che Guevara nord-américains. Pour Dandurand qui avait étudié les techniques communistes employées dans les autres pays, ces troubles laissaient présager une éventuelle révolution, une croyance qui peut paraître puérile ou fantasmagorique, mais qui à l'époque de la Guerre froide, alors qu'une partie du monde vivait les guerres de libération et que Montréal même était le théâtre d'actes insurrectionnels, était loin d'être farfelue. « L'auteur de L'Apostasie tranquille du Québec ne se cantonna toutefois pas à ces faits certes spectaculaires, mais qui n'étaient que la pointe de l'iceberg ou plutôt l'écran de fumée camouflant les profonds changements qui s'opéraient en sous-main. C'est à ce niveau que ce livre devient non pas un simple essai périmé, mais une ressource capitale pour étudier et comprendre l'histoire de ces grandes mutations et de la façon dont l'identité entière d'un peuple allait être travestie à jamais. « La première chose qu'on remarque en lisant Gilles Dandurand ou même Robert Rumilly qui a publié une série de livres dans les mêmes thèmes c'est que les changements furent implantés dans la société, alors fortement traditionaliste, catholique et canadienne-française, de façon graduelle, à la façon d'un saucisson qu'on avale par petites tranches plutôt que par grosses bouchées, ce qui serait indigeste. À chaque petit pas vers la déconfessionnalisation de l'État québécois, de la société en général et surtout de l'éducation, on expliquait au peuple que rien ne changerait, que ce serait comme avant, mais avec un peu plus de liberté. Et les gens, gavés de ces mensonges rassurants, acceptèrent. Rares furent qui comprenaient l'effet domino que ces petits changements « sans incidence » pourraient entraîner. Pour laïciser les écoles catholiques du Québec on commença par introduire « un système de forme différente de confessionnalité, d'une confessionnalité qui n'est pas celle d'autrefois », puis étape par étape, on en vint quelques décennies plus tard à interdire le crucifix et imposer des cours de multiculturalisme (ECR) à notre progéniture. Ces mensonges et ces tactiques déloyales, qui furent la base de la Révolution tranquille, Dandurand les percevait clairement et il dévoila la manipulation de l'opinion publique par les médias de masse, imposant leur propre programme. « Il voyait aussi avancer sous le couvert des clochers les catholiques de gauche, conspués par Jean Madiran. Ces derniers, sans s'en rendre compte, pavaient eux-mêmes la voie à la laïcisation du Québec, ce qui ultimement amena à une apostasie générale et à une dénationalisation du peuple. De Canadiens français, catholiques et fiers, nous devînmes des Québécois, mous et maternés, incapables de faire face à une quelconque rigueur ou d'imaginer vivre sans un État pour nous guider par la main. Ce travail de sape, ce fut l'œuvre de prélats bien-pensants, bercés par les sirènes marxistes et humanistes, préférant Sartre à saint Thomas d'Aquin. La seule erreur d'analyse de Dandurand fut de rechercher une optique traditionaliste au concile Vatican II, qui marqua plutôt l'avènement du catholicisme de gauche. « En introduction, Dandurand cite l'Américain Horace Miner qui s'interroge sur les différences entre la société américaine et canadienne-française : « Quelle est la plus haute forme de civilisation ? Celle où les hommes s'agglutinent en villages autour des usines, afin de pouvoir vivre ; ou bien celle où les hommes se rassemblent autour du lieu de culte et construisent leur vie à partir de ce centre, tirant de la terre le nécessaire pour vivre ? » « Soixante ans après la Révolution tranquille, alors que les églises sont bradées à un prix dérisoire, existe-t-il encore des différences entre les deux sociétés, ou ne sommes-nous pas devenus ce que Lionel Groulx craignait que nous devinssions, des Américains tout simplement ? » Rémi Tremblay, dans Lectures Françaises n° 782 (juin 2022)