Marier l’intelligence et la sensibilité.
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.----. En quatorze petites nouvelles, Jacqueline de Romilly nous raconte des souvenirs de personnages, féminins pour la plupart. Une vision, une phrase, une promenade les fait se retourner vers un passé, généralement heureux et ils se demandent, parfois avec angoisse, s’ils ont bien agi, s’ils ne sont pas passés à côté.
Lucie observe avec mélancolie l’unique anémone de son jardin, installée là depuis des années. Mais son mari n’est plus là pour qu’elle lui dise « Viens voir » et elle se demande si elle a bien compris cet homme aimé mais si réservé. A Hendaye Marguerite regarde l’eau se fracassant sur les falaises. Elle se rappelle, des décennies après, de cette mère qui attendait avec une infinie patience que l’enfant ait achevé sa contemplation. Comment a-t-elle pu être si indifférente à autant d’amour ?
Julie va connaître un moment de « pure perfection » avec Henri, sur une terrasse de restaurant surplombant la mer, en Calabre. Pour fêter son bonheur, elle trempe ses lunettes de soleil dans le seau à glace, comme il le lui a appris pour se rafraîchir les yeux. Et pourtant ce fut un échec, et elle comprend qu’elle en est responsable, lui permettant ensuite d’être plus indulgente.
L’amour est le centre de ces nouvelles, notamment l’amour maternel qui passe la barrière des langues (Au-delà de Babel), se révèle à distance dans un petit jardin provençal (Arrêt sur image) ou dans le cadre tragique d’une arrestation (Une histoire pleine de trous). Un itinéraire spirituel inattendu va même se révéler à travers une étrange visite de sangliers dans un autre jardin provençal (Les sangliers).
La grande helléniste que fut Jacqueline de Romilly s’est essayée parfois à la littérature, avec beaucoup de bonheur. Seules deux nouvelles ne nous ont pas parues au niveau des autres. Au-delà de l’écriture, parfaitement maîtrisée mais l’on s’en doutait bien, il y a une grâce, une délicieuse sensibilité qui rend très émouvante la lecture de ces nouvelles.
Elles sont souvent mélancoliques, mais jamais tristes, et toujours nimbées d’espérance. C’est ce qu’a voulu nous dire, à 86 ans, cette grande intellectuelle qui sut si bien marier l’intelligence et la sensibilité.
[ Publié le 2 mai 2021 par le site d'Antoine. Si vous cherchez de bonnes lectures nous vous conseillons de suivre ses conseils en suivant vos inspirations ]