Maurras, pour l'histoire
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La journée Va finir sans flammes, j'ai prié qu'on n'allumât point. Que le soir monte avec ses fumées incertaines: le détail, l'accident, l'inutile y seront noyés, il me restera l 'essentiel. Ai-je rien demandé d'autre à la vie ? Ces magnifiques premières lignes des Quatre Nuits de Provence, qui ouvrent le recueil consacré par la collection Bouquins aux oeuvres de Charles Maurras, permettent d'emblée
de sortir d'une première impasse le concernant, la plus courante aujourd' hui: le réduire à ses haines, à ses emportements, à ses iniquités et à ses injustices, au risque de s'interdire de comprendre comment celui que la vulgate actuelle décrit, sans l'avoir lu, comme un médiocre fanatique exerça une telle influence sur les grands esprits de son temps (de Proust à Malraux, de Bernanos à Mauriac, d'Apollinaire à Montherlant, de T. S. Eliot à Roger Nimier) et sur son époque tout entière.
à des préoccupations actuelles ".
Au risque, également, de passer à côté d'un penseur capital, et aussi d'un superbe écrivain qui, dans ses meilleurs moments, égale la pureté des plus grands classiques. On se souvient de la récente tragi-comédie autour du Livre des commémorations nationales 2018, dans lequel
figurait Maurras au titre du cent cinquantième anniversaire de sa naissance en 1868, mais dont la ministre de la Culture, Françoise Nyssen, dut finalement le chasser sous la pression d'associations antiracistes, entraînant en signe de protestation contre cette censure la démission, le 21 mars dernier, de dix des douze membres du Haut Comité aux commémorations nationales et la suspension
prouver la force subversive intacte de Charles Maurras et sa capacité toujours vivace à enquiquiner la République qu'on ne s'y serait pas pris autrement ... Il n'est évidemment pas question - et personne ne le tente - de nier ce que Michel De Jaeghere, dans sa préface à l'Âge d'or du maurrassisme (lire notre encadré), nomme "sa face d'ombre". Certes, on peut - et l'on doit - replacer les choses dans leur contexte, la violence de ses polémiques dans celle de l'époque ; rappeler que ses appels au
meurtre n'avaient que valeur d'avertissement et de protection, quand ceux des adversaires de l'Action française furent suivis de meurtres bien réels; se souvenir que ce germanophobe impénitent a été condamné pour "intelligence avec l'ennemi" alors que Mauriac soulignait que c'était "la seule forme
d'intelligence qu'il n'ait jamais eue"; que le pétainisme obstiné de Maurras fut précédé de la plus inlassable et plus lucide condamnation de Hitler, traité dès l'origine de "chien enragé", et de son racisme qui lui inspirait un "solide dégoût" , Car "l'antisémitisme d' État" de Maurras ne se voulait qu'un anticomunautarisme, et pas un racisme : mais il a rendu lui-même cette défense inaudible en le juxtaposant , durant toute l'Occupation, à l'antisémitisme racial des nazis et à leurs crimes. à des préoccupations actuelles ".
Tout obsessionnel qu'il fût, cet antisémitisme
"n'est pas l'alpha et l'oméga" de sa pensée, notait son biographe Stéphane Giocanti. Doit-il dès lors conduire à rejeter avec lui la totalité de son oeuvre - ce que personne n'exige pour Voltaire, par exemple? Cette face d'ombre est d'autant moins "le centre de son oeuvre, la clé ultime de sa vision du monde" (Michel De Jaeghere) que, si l'on en retranche les polémiques, les violences et l'antisémitisme et "leurs L'âge d'or du maurrassisme, qu'étudie Jacques Paugam dans ce livre de 1971
aujourd'hui réédité, ce n'est pas ces années 1920 où il a atteint le sommet de sa puissance, au prix selon l'auteur d'une certaine pétrification de sa doctrine en un conservatisme protestataire, mais la décennie 1899 -1908 où, en un laboratoire intellectuel dont le bouillonnement demeure fascinant,
il élabore et affine sa pensée. Gaulliste, figure éminente de la culture audiovisuelle des années 1970 et 1980, Paugam décrit cette genèse avec une objectivité qui, note Michel DeJaeghere dans sa lumineuse préface, "ne néglige ni les zones d'ombre ni - c'est plus exceptionnel - les traits de lumière. N'exclut ni la sévérité de jugement, ni la bienveillance. Sur le plus passionné,
le plus redoutable des sujets, Pauqam réussit ce prodige de juger sans passion » , Jusqu'à
saluer, en conclusion de son livre, c'est un visionnaire qui a su discerner admirablement, dès son début, les principales tendances de l'évolution du xxe siècle et proposer un cadre général de résolution de problèmes encore latents, dans des perspectives qui correspondent assez largement
à des préoccupations actuelles ".
<p align="right">Laurent Dandrieu <a href= http://www.valeursactuelles.com/ target=_blank>www.valeursactuelles.com</a>
Dans notre Éphéméride de ce jour
4/5 http://lafautearousseau.hautetfort.com/
.----. Lorsque Jacques Paugam a publié sa brillante étude consacrée aux débuts du maurrassisme – cet Âge d’or qu’il situe entre 1899, date de la création de la revue de l’Action française, et 1908, année où fut lancé le quotidien –, il s’agissait de mettre en lumière les complexités d’une pensée qui a nourri des hommes aussi différents que Bernanos, Montherlant, de Gaulle... et qui fut admiré par Proust, Apollinaire, Péguy, Malraux, Gide, Maritain, Althusser, Lacan, Dumézil...
Partant des textes et s’y tenant toujours, l’auteur s’attache à montrer comment, en neuf ans, l’Action française va élaborer sa doctrine, établir ses choix et construire une véritable philosophie de l’État qui, dans beaucoup de ses aspects, rend un son très actuel.
L’on voit alors combien il est pernicieux de réduire le maurrassisme à ses facettes indéfendables – l’antisémitisme – et de ne retenir qu’elles. Mais comment ne pas les dissimuler sans étouffer ce que cette pensée compte par ailleurs de richesses ?
Maurras est-il un mal-compris ? Ses conceptions de l’État, de la Nation, ont-elles été déformées par les luttes partisanes et les passions politiques ? Ces questions demeurent d’actualité. Dépassant les controverses, Jacques Paugam contribue à réintroduire Maurras dans le passé et le présent de la France.
Et à faire entendre l’apport spécifique de l’Action française à l’histoire des idées – au-delà des vaines et stériles polémiques.
[ Publié le lundi 11 octobre 2021 ]