"Rédacteur en chef du deuxième plus important hebdomadaire polonais Do Rzeczy... l'auteur vient de publier un roman apocalyptique" « Serge Lama chantait à propos de l'Église, dans Je vous salue Marie, "Je crois en Dieu hélas plus du tout en ses prêtres / Il s'est glissé chez eux des Judas et des traîtres"des propos qui trouvent un écho dans le livre de Pawel Lisicki. « Un ouvrage dont le titre annonce la couleur : L'Âge de l'Antéchrist. Il n'a d'ailleurs rien de provocateur, puisque l'auteur nous confronte à cette possibilité, la venue prochaine de l'Antéchrist. Celle-là a lieu au XXIIIe siècle et celui-ci n'est autre que le pape, Judas Ier. Le décor est planté dès les premières lignes et l'élection du pape, un tribun hors pair et au regard pénétrant, bien loin de ce à quoi nous sommes habitués depuis quelque temps, que ce soit chez les hommes d'Église, mais aussi les hommes d'État. « Car le fameux Judas, Juan Pablo Bergamoto de son nom, est les deux à la fois. Non pas que l'Église ait retrouvé au XXIIIe siècle des états pontificaux dignes de ce nom, mais parce qu'il occupe une fonction importante au gouvernement mondial. Tout a été unifié et les pays n'ont plus que des gouverneurs désignés par l'état centralil y a même des colonies sur Mars et la Lune. On en apprend beaucoup sur Bergamoto, ainsi que sur la société et l'Église imaginées par Lisicki, dans la première partie du livre qui retrace toute la formation du nouveau pape, depuis son enfance jusqu'à son élection. « Ce qui permet à l'auteur, au fil de courts chapitres, de nous faire découvrir différents aspects de l'évolution du monde, telle qu'il l'a imaginée. Rien n'est beauBien au contraire. Tout n'est qu'inversion des valeurs, tout est perversion des mœurs, destruction et chaos... des idées tout au moins, puisque c'est sur elles que l'auteur se concentre. Et Bergamoto-Judas est un concentré des horreurs du monde, ce que le choix de son nom de pape illustre parfaitement. Un monde où les enfants ne sont plus à leurs parents, où on n'enseigne que la révolte, le rejet du passé et de tout ce qui est immuable, un monde malheureusement dans la continuité du notre, dans lequel l'homme, à force de s'écouter, lui et la science, sans aucune tempérance, a fini par perdre toute humanité. Une dégénérescence dont l'Église n'est pas étrangère, qu'elle promeut et subit à la fois. La liturgie a disparu, la morale aussi, les dogmes avec... les femmes ont accès à la prêtrise, il en est même qui sont cardinales. La chapelle Sixtine est devenue une boîte de nuit, les basiliques majeures servent à tout sauf à ce pour quoi elles ont été construites... Le tableau est glaçant d'effroi, comme celui de Jérôme Bosch qui sert de couverture. « Ce que décrit Lisicki, c'est la recherche de l'homo deus, par l'application de la célèbre formule de Nietzsche : "Dieu est mort." Et surtout du rôle que l'Église pourrait y jouer. « Nous savons en effet que l'Église a rompu depuis quelques années avec la tradition et qu'elle est dirigée par des hommes plus enclins à suivre le siècle. Ceux imaginés par Lisicki, les François qui se succéderont de François à François-François, successeur de François VI et prédécesseur de Judas Ier, entendent placer l'Église à l'avance du siècle, pour qu'elle soit le moteur de sa propre disparition. C'est d'ailleurs ce mouvement d'autodestruction que l'auteur raconte. Elle est nécessaire à la reconstruction d'une nouvelle religion universelle, permettant l'avènement de l'homo deus. Une religion de l'homme, où l'homme supplante et remplace Dieu, devenu inutile, voire néfaste. "Aussi longtemps que l'homme continuera à mourir, Dieu n'a pas le droit de vivre" (p. 231). Voilà un exemple parmi tant d'autres des réflexions que l'auteur met dans la bouche de ses personnages principaux, puisque de héros il n'y en a guère, si ce n'est deux cardinaux qui osent s'élever contre l'Antéchrist. « Au contraire, c'est lui qui s'élève, et à mesure qu'il le fait, Dieu est abaissé. Judas convainc tout le monde, des media représentés par Léniniste, aux grands PDG comme Bill Gooddeath. C'est là que le bât blesse. L'auteur propose des noms qu'il veut certainement aussi dégénérés que le monde qu'il entrevoit, ce qui rend parfois la lecture un peu risible. En effet, quand le principal soutien du pape et son premier laudateur s'appelle Léchicullo, on peut sourire. Mais quand une autre se nomme Bordello et le procureur mondial (une femme), Salopenssen, c'est un peu gros. Il en va de même pour le sexe, symbole s'il en est de la dégénérescence, à la fois très présent et mal amené. Parce qu'au fond, ce qui manque à ce récit, c'est une ambiance qui nous emporte. Il fourmille de bonnes idées à en faire froid dans le dos, tant elles paraissent crédibles, mais elles restent sous une forme inachevée, parce que le lecteur n'en fait pas l'expérience au côté d'un personnage apprécié. En fin de compte, on a plus l'impression de visiter une exposition que de vivre une réelle aventurece qui n'est peut-être pas si mal, puisqu'un trop grand réalisme en aurait dégoûté plus d'un. » Laurent Causte, dans Lectures Françaises n° 788 (décembre 2022)