La vie au bout des doigts.
5/5 Présent n 8629 15 juin 2016 p 3
La Vie au bout des doigts est le dernier livre du professeur Joyeux, écrit à six mains avec un médecin réanimateur, le docteur Jacques di Costanzo, et une femme philosophe, Laurence Vavin. Un livre dans lequel on découvre le quotidien de deux médecins et où un philosophe s'interroge sur le sens des actes posés et place le praticien face à ses responsabilités. « Cet ouvrage interroge et explique, mais surtout il délivre un véritable message de vie »
Pourquoi avoir écrit ce livre ? Pourquoi ce « six mains » entre un chirurgien, un réanimateur et un philosophe ?
L’idée est venue très simplement d'un colloque que j'ai organisé en Cerdane avec la philosophe Laurence Vanin et mon collègue urgentiste Jacques Di Costanzo. Nous avons fait quelques balades ensemble dans la plus belle nature et chacun a exprimé avec passion ses expériences professionnelles. Nous nous sommes dit que tout cela ferait un beau livre pour le grand public, qui devait mieux connaître les complémentarités ce nos métiers. Chacun fait des choses différentes avec ses mains : le chirurgien répare directement, le philosophe nous oblige à réfléchir et à donner du sens à ce que nous faisons et l'urgentiste ramène à la vie des personnes qui ne sont pas très conscientes. A trois, nous avons réfléchi à la vie au bout de nos doigts. Les mains du chirurgien, de l'urgentiste et d'une philosophe. Des mains qui cherchent à sauver, des mains qui ouvrent à la réflexion pour trouver du sens. La philosophe nous a poussés, Jacques Di Costanzo et moi-même, dans nos retranchements. Dans ce livre commun, chacun livre ses secrets, ses motivations, ses peurs, ses espérances.
« Traiter » en même temps le corps et l'esprit est-il essentiel selon vous ?
Plus que cela car, quand le patient atteint de cancer est psychologiquement bien présent, c'est tout son être qui est chamboulé : son corps, son esprit, son affectivité et la fine point de son être qu'est son âme. On oublie trop souvent ces quatre dimensions, auxquelles il faut ajouter celle du temps, de l'avenir.
Qu'est ce que traduit de notre société ac-tuelle la façon dont on soigne aujourd'hui dans nos hôpitaux ?
On exagère beaucoup les incompréhensions entre le personnel soignant et les malades. Je veux fortement valoriser le travail des infirmières et du personnel qui les assiste. Elles passent énormément de temps avec les patients, sont en première ligne. Je leur ai toujours accordé une grande confiance pour leurs compétences professionnelles et leurs capacités humaines. Elles voient souvent plus vite que la ou le jeune interne, qui croit tout savoir et n'a pas grande expérience.
Comment la médecine a-t-elle évolué au cours de votre carrière ? Qu'est ce qui a changé ? En bien ou en mal ?
Nos techniques ont fortement évolué, elles sont moins agressives. Nous sommes parvenus à mieux gérer les douleurs physiques. Malheureusement, nous avons perdu du personnel infirmier, qui est moins nombreux, et nous n'avons pas assez d'internes. Ceux-ci restent trop superficiels en général, trop proche de la paperasserie et pas assez près du malade. D'une manière générale, les internes connaissent mal les dossiers des malades et se repassent mal les informations d'une garde à l'autre. On a toujours 10 % des internes de grande qualité, les autres sont souvent peu ou mal motivés et arrivent aux responsabilités trop âgés.
— Vous dites que La Vie au bout des doigts est un message d'espoir. Pourquoi ?
La mort ne présente plus désormais ce caractère inéluctable, à court terme, qui la rend si redoutable. Des médecins, de plus en plus performants grâce à la technologie moderne et assistés par un personnel soignant aussi compétent que dévoué, luttent jour et nuit pour la vie. Reste qu'ils seront toujours vaincus un jour ou l'autre ! L'homme parviendra-t-il, un jour, à assouvir son vieux rêve d'immortalité ? Si les progrès de la science nous rassurent quant à l'avenir à moyen terme de l'humanité, l' hubris, cet orgueil démesuré qui pourrait s'emparer de l'homme, suffirait à lui faire croire qu'il serait, un jour, l'égal de Dieu. Cet ouvrage est à placer entre toutes les mains car il interroge et explique, mais surtout parce qu'il délivre un véritable message de vie. Laissons le transhumanisme délirant et utopique qui déshumanise. Restons ancrés dans l'humus, l'humilité, pour comprendre ce dont l'homme a le plus besoin : de pain, de reconnaissauce, d'amour et d'espérance.
<p align="right">Anne Isabeti <a href= http://www.present.fr/ target=_blank>www.present.fr</a>
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