La tragédie du Maréchal
5/5 Xavier
.----. Voilà un livre très bien documenté qui fait suite au premier volume, « je brûlerai ma gloire » avec le même souci des références précises.
L’auteur est à la recherche des faits qui dessinent sur Pétain, une vérité qui va à l’encontre du roman historique tissé par des intérêts convergents qui a fait de cette personnalité militaire et politique de haut rang, un repoussoir.
Jacques Boncompain complète très bien l’ouvrage de l’historien de la marine américaine, Charles William Koburger dans son livre « la France et sa marine 1940-1942 » ( référencé dans la bibliothèque de l’armée française) qui montre que pendant les 28 premiers mois de la guerre, Pétain joue un rôle décisif en conservant l’Empire hors de la portée de l’Allemagne (ce qui sauve en passant les 440000 français d’origine juive d’Afrique du Nord), par son refus à Montoir de déclarer la guerre à l’Angleterre, par ses rappels à Darlan après Mers El Kébir, Dakar...que l’ennemi n’est pas l’Angleterre mais l’Allemagne, et par le sabordage de la flotte dont la prise pouvait renverser le rapport de force en faveur de l’Axe. L’auteur américain, lui-même capitaine de vaisseau, parlant français, ayant tout lu sur le sujet dans les deux langues et ayant eu accès aux archives de la marine française, a notamment par son ouvrage, ouvert une brèche définitive dans celui de Robert Paxton qui se veut une référence (en montrant notamment par l’épisode emblématique des E-Boat que l’on ne peut pas se fier aux archives allemandes pour mesurer la résistance du Gouvernement Pétain /Darlan aux demandes allemandes et dans cette exemple de faire passer les vedettes lance torpilles et autres navires de la Kriegsmarine par le Rhône) et donne implicitement raison à Robert Aron qui le premier avec son livre « le régime de Vichy » avait exposé le double jeu de Pétain face à Hitler.
Ceci rappelé, les 2 ouvrages successifs de Jacques Boncompain, qui englobent ces faits et vérités, nous exposent l’attitude de Pétain face à la pandémie brune qui cible la communauté juive, qui a fourni tant d’élites françaises dont les deux cousins Aron, Robert et Raymond.
Pour cette tranche de population française, menacée par ce virus mortel de la haine, Jacques Boncompain à l’encontre de la pensée dominante, expose un statut des juifs comme contre-feu aux lois de Nuremberg appliquées immédiatement en Alsace Lorraine annexée (il suffit de comparer les deux textes), un renvoi des fonctionnaires français d’origine juifve de l’administration mais en les indemnisant à l’ancienneté, une interdiction pour eux de porter l’étoile jaune en zone libre pour les rendre anonyme, et un refus persistant à la dénaturalisation des 50000 français récemment naturalisés qui révèlent les véritables intentions de Pétain sur ce sujet douloureux tant qu’il avait encore du pouvoir.
Sur la Personnalité de Pétain deux traits saillants : d’abord celui de la compassion, le sort des français de toutes catégories, les soldats prisonniers, les souffrances des populations bombardées, étaient sa préoccupation lancinante et un ressort de sa résistance à Hitler. Enfin le sens du sacrifice de celui qui a dit « je brûlerai ma gloire » pour sauver le maximum de ses concitoyens (lire ce que dit Otto Abetz après-guerre si Pétain était parti en novembre 42). Churchill dans ses mémoires, reconnait que les conditions d’Armistice obtenues par Pétain leur ont rendu un grand service.
Roosevelt a toujours fait confiance à Pétain considérant ces conditions d’armistices providentielles dans la mesure où l’Amérique n’était pas encore prête à intervenir sur le théâtre européen. Il lui enverra l’amiral Leahy peu de jours après la fameuse missive de Churchill du 31 décembre 1940 qui proposait à la France de reprendre le combat à partir de l’Afrique du Nord, proposition déclinée par Pétain après que Chevalier Ministre du gouvernement ait reçu la réponse et avis de son ami Lord Halifax ambassadeur de GB à Washington sur cette proposition britannique: Halifax estimait que l’Angleterre n’avait pas les moyens de consacrer les 6 divisions promises par Churchill en appui des forces françaises d’Afrique du Nord et surtout il apportait le conseil de Washington de ne rien tenter si ce n’est de conserver à tout prix les conditions d’Armistice intactes que Washington considérait encore une fois comme providentielles et surtout que la flotte Française ne tombe pas entre les mains des Allemands. (Washington fera d’ailleurs à Pétain une proposition de rachat de la flotte Française selon l’historien de la Marine américaine)
Par ailleurs et par contraste, Jacques Boncompain fait ressurgir sur l’homme de Londres quelques mises au point dont on attend toujours qu’elles soient contestées : Ainsi, en chaud partisan du plan funeste qui a fait tomber dans le piège l’armée française, Il convertit Paul Reynaud de la pertinence à faire monter le principal de nos forces armées en Belgique et en Hollande ; Il n’est vraisemblablement pas l’homme qui a dit Non , mais celui qui dépité de ne pas être dans le gouvernement Pétain, s’engouffre dans l’avion de Spears. Il n’est ni l’homme de la compassion, ni l’homme de la réconciliation : l’opération de Dakar monte déjà les français contre les français. Son refus de tout contact avec Pétain et sa campagne de dénigrement de son ancien mentor auprès des anglo-saxons, vont avoir des conséquences dramatiques notamment au moment du débarquement américain en Afrique du Nord et faire perdre un temps précieux aux américains pour conquérir la Tunisie et débarquer en Italie. Sans parler de la période d’épuration.
Roosevelt et Churchill le considéraient unanimement comme un diviseur. Churchill l’a conservé in extrémiste, pensant que après-guerre, la France et l’Angleterre devraient faire front commun pour conserver leurs Empires....
Il faut également rappeler qu’au procès de Pétain, les ambassades américaine et d’Angleterre protesteront et que le secrétaire général du parti conservateur Kenneth de Courcy, proche de Churchill, dira à la Haute Cour : « De Gaulle sans Pétain, Pétain sans De Gaulle , n’auraient pas obtenu séparément pour la France, ce qu’ils ont obtenu ensemble » (même conclusion que l’historien de la marine américaine)
Enfin, bien avant ce procès et peu de temps avant sa fin, Hitler réaffirme dans son testament politique sa méfiance vis-à-vis de la France à l’égard de laquelle « l’erreur de notre politique a été la plus complète » et le 20 février 1945 il résume son échec ainsi: « décidemment, les latins nous fichent la poisse ! Pendant que je me rendais à Montoir pour y avaliser une ridicule politique de collaboration avec la France, puis à Hendaye (en fait il s’y est rendu avant Montoir) pour y subir l’accolade d’un faux ami, un troisième Latin, qui celui-là était mon ami, profitait du fait que j’étais occupé ailleurs, pour mettre en branle sa funeste campagne contre la Grèce ».
Et on comprend alors, en paraphrasant Clausewitz, que pour Pétain, l’Armistice était la poursuite de la guerre par d’autres moyens.
Résultat : l’Afrique du Nord et Dakar que lorgnait l’État-major allemand, la flotte française que convoitait l’Amiral Raeder, ont échappé aux Allemands, de même avec un taux de survie de 75% en Métropole et de 100% en Afrique du Nord, soit un taux de survie moyen de 90%, les populations ciblées par la haine nazie sous domination française ont eu le taux de survie le plus élevé de tous les pays occupés par les Allemands.
Et qui d’autre que Pétain aurait pu obtenir ces conditions face à Hitler? Paul Raynaud ... ?
C’est ce que retiendront les prochaines générations grâce aux apports d’esprits indépendants comme Jacques Boncompain.
Il fallait que tout cela soit dit et redit. Ces deux ouvrages méritent bien 5 étoiles.