Postface : "Dans le hall de Siemenstadt, long de deux cents mètres, haut de cinquante, Hitler monte sur un rotor de dynamo large comme une tour féodale. A ses pieds, des milliers d'êtres humains s'entassent. On sent en lui un sentiment de toute-puissance. Ses fortes pattes esquissent des gestes précis. On a l'impression qu'elles manoeuvrent les déclics d'un peuple-machine lancé à toute vapeur et qui franchit en grondant, en haletant, des aiguillages inconnus. Lui, le mécanicien, il sait où mène cette voie enténébrée. ...L'avalanche roule. Le peuple-machine court, d'une allure d'enfer, vers le butoir qu'il écrasera à moins de s'y fracasser dans une flambée d'apocalypse. Notre vieille sagesse occidentale devrait comprendre l'abominable danger d'une telle psychose quand elle hante soixante-cinq millions d'hommes-mécaniques, des nuées de robots menés par un magicien au coeur de fer. ...Il faut se tenir prêts à combattre. S. A., S. S., Reichswehr, Police militarisée, des millions d'hommes s'entraînent au massacre. On bande les yeux de ce peuple qui court à la mort ou à la victoire. Cette Germanie, revenue aux instincts primitifs, se prépare à la guerre dans une nuit d'orage. Ne désarmons pas et que la terre entière connaisse une fois pour toutes notre volonté. Faisons comprendre à l'Allemagne que notre patience à des bornes. Certains - et je suis du nombre - pensent qu'il n'y a plus de place en Europe pour deux formules devenues aussi contradictoires que l'hitlérisme allemand et le libéralisme français. Si l'un des deux adversaires doit reculer, pourquoi nous ? Groupant nos alliés actuels, nous sommes les plus forts jusqu'à nouvel ordre. Parlons donc le langage des forts à ceux qui ne respectent que la force."
Xavier de Hauteclocque (1897-1935) fut un journaliste, écrivain, et agent de renseignement français. Il publiait dans les débuts de 1934 ce livre-reportage, en épisodes d'abord dans le journal Gringoire, sous le titre Nuit sur l'Allemagne, puis en volume sous ce titre cette fois de La Tragédie brune, aux Éditions de la nouvelle revue critique. Dans cette enquête menée ainsi sur place en Allemagne, à la fin de l'année 1933, et comptant parmi les tous premiers textes en français d'étude sur l'établissement du IIIe Reich, Xavier de Hauteclocque, grâce à certaines introductions dont il bénéficiait, par sa propre audace dans la pénétration des milieux nazis, ou par son observation de la société allemande, y exposait déjà, faits à l'appui, le mécanisme de répression de l'état hitlérien, et la mise en place de l'état totalitaire national-socialiste. Relatant ses visites auprès de personnages officiels, des S. A., des S. S., auprès aussi de différents acteurs, observateurs ou victimes, assistant à des manifestations, se rendant dans des lieux de pouvoir, de vie publique ou des casernements, approchant même directement les premiers camps de concentration, l'auteur délivrait ici un témoignage unique, et essentiel, en même temps qu'un avertissement alarmiste et prophétique sur le danger du nazisme. "Mort pour la France, en service secret", Xavier de Hauteclocque serait, un an après cette publication, en 1935, empoisonné en Allemagne, par les services de contre-espionnage nazis...