Ouest Eclair, Dépêche de Brest...
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.----. La presse bretonne dans la Collaboration. Un livre de Georges Cadiou évoque l’Ouest Eclair et la Dépêche de Brest, ancêtres d’Ouest France et du Télégramme [Interview]
« Enfin, la France a un chef », exulte L’Ouest-Éclair du 1er novembre 1940, arborant dans sa « une» un portrait du maréchal Pétain. Le ton était le même pour l’autre grand quotidien breton de l’époque, La Dépêche de Brest, qui approuve aussi le régime de Vichy. Jusqu’à leurs derniers numéros, en juillet-août 1944, les deux journaux vont afficher leur pétainisme et un soutien sans faille à la « Nouvelle Europe » sous l’égide de l’Allemagne nazie.
Et ceci dans la guerre contre ceux qu’ils nommaient « les judéo-bolcheviques » ou « les enjuivés » de Londres et de Washington. L’antisémitisme et la justification des pires horreurs de la guerre traversent en effet les colonnes de ces deux quotidiens qui connaissaient alors de forts tirages. Interdits de parution à la Libération en raison de leur collaboration effective, les deux journaux ont été remplacés en 1944 par Ouest-France et Le Télégramme de Brest, qui multipliaient alors les actes d’allégeance au nouveau pouvoir gaulliste, sans aucun doute pour mieux faire oublier les années noires de compromissions.
C’est cette histoire le plus souvent occultée dans les ouvrages traitant de cette période, y compris dans le monde universitaire, que Georges Cadiou s’efforce de remettre en lumière. Sans rien cacher des faits avérés et confirmés par les écrits que l’on peut aisément consulter dans les archives.
Pour évoquer cet ouvrage, édité par Yoran Embanner, nous avons interviewé l’auteur.
Georges Cadiou, né en 1951 à Brest, a été journaliste dans la presse écrite, puis dans l’audiovisuel, notamment à France-Bleu-Breizh Izel. Il a aussi été maire-adjoint UDB de Quimper (2008-14) et a écrit près de trente ouvrages sur différents sujets historiques, politiques et sportifs.
Breizh-info.com : Tout d’abord, pourriez vous nous rappeler la genèse des deux grands quotidiens de Bretagne du début du 20ème siècle, l’Ouest Eclair et La dépêche ?
Georges Cadiou : La Dépêche de Brest créée en 1886 était alors d’esprit républicain, voire même radical, mais le quotidien a évolué ensuite vers une position plus droitière et libérale, en tout cas nettement opposée au socialisme avec l’arrivée de la famille Coudurier. L’Ouest-Eclair à Rennes, créé en 1899, au moment de la révision du procès Dreyfus, affichait alors ses couleurs, celle de la démocratie chrétienne et du christianisme social mais également opposées aux idées nouvelles du socialisme.
Breizh-info.com : Durant la seconde guerre mondiale, il semblerait que ces deux principaux quotidiens aient tout simplement retourner leur veste au gré du vent dominant. Pouvez vous revenir sur ce changement radical, qui a vu la naissance d’Ouest France et du Télégramme de Brest ?
Georges Cadiou : Toute la presse française paraissant légalement sous l’Occupation devait suivre les consignes de l’occupant et de Vichy.
Breizh-info.com : Peut-on parler d’un changement opportuniste avant d’être idéologique ? Etaient-ce les mêmes journalistes qui peuplaient les rédactions des deux quotidiens en 1940 et en 1945 par exemple ?
Georges Cadiou : Les rédactions étaient divisées à l’image de L’Ouest-Eclair avec Paul Hutin, le secrétaire général du quotidien, qui refusa de se soumettre et quitta le journal. Il reprendra, à la Libération, la direction du quotidien successeur, Ouest-France. Même chose pour La Dépêche. L’un des principaux éditorialistes et actionnaire, Victor Le Gorgeu également sénateur-maire de Brest, opposant à Pétain, sera finalement écarté par les occupants au profit de Yann Fouéré qui devient le patron du quotidien brestois au printemps 42. Mais dans les rédactions il y avait des réseaux de résistance. On peut citer Joseph Martray à La Dépêche ou Emile Cochet, le père du futur élu écologiste, qui était l’un des responsables de L’Ouest-Eclair. Ce sont ces équipes qui referont les quotidiens successeurs en 44, sur des bases nouvelles.
Breizh-info.com : Comment expliquez vous dès lors la persistance, même sous un nom différent, d’Ouest France et du Télégramme après guerre, alors que dans le même temps, du fait d’une petite minorité de militants Bretons ayant cru à une possibilité d’indépendance en cas d’alliance avec l’Allemagne, l’Emsav tout entier a été longtemps voué aux gémonies ?
Georges Cadiou : Sur les compromissions avérées d’une large partie de l’Emsav durant l’Occupation, j’ai tout dit dans L’Hermine et la Croix gammée, un ouvrage paru il y a une quinzaine d’années. Dès cette époque j’envisageais d’écrire un livre sur les deux principaux quotidiens bretons pendant l’Occupation. C’est fait.
Breizh-info.com : Les acteurs de la Seconde guerre mondiale, et des périodes en amont de celle-ci, quittent petit à petit ce monde. Pensez-vous que le regard que nous portons aujourd’hui sur ces évènements, mais aussi sur la façon dont ils étaient rapportés par la presse à l’époque, évoluera encore dans les décennies, dans les siècles à venir ? Toutes les archives ont-elles été ouvertes ou peut on encore imaginer, demain, des découvertes sur le sujet ?
Georges Cadiou : Je trouvais normal d’appliquer à La Dépêche et à L’Ouest-Eclair les mêmes critères que j’avais utilisés pour L’Hermine, c’est-à-dire une revue de presse historique. J’ai donc lu tous les numéros des deux quotidiens de cette période, deux quotidiens qui tiraient nettement plus que la presse de l’Emsav et qui avaient donc une influence (et une responsabilité !) plus grandes.
Quant aux archives et aux découvertes futures, je n’ai évidemment pas de réponses, surtout pour les siècles à venir !
[ Propos recueillis par YV et publié le 19 juillet 2022 ]
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