Premier roman qui raconte une histoire !
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.----. Enfin un premier roman qui raconte une histoire avec des personnages pittoresques, des ambiances exotiques, des rebondissements originaux…
On désespérait un peu entre les ressassements nombrilistes, les traumatismes familiaux ou encore les messages appuyés en faveur d’un politiquement correct de plus en plus insoutenable. La lumière des Pyrénées éclaire Là où la caravane passe, premier roman de Céline Laurens. Car il s’agit de son premier roman, et déjà on retrouve la maîtrise de la romancière chevronnée.
Pari audacieux
Chaque année, le 15 août, la communauté d’indomptables gitans, dont l’imaginaire est nourrie de sombres légendes, se réunit pour le pèlerinage de Lourdes. Les règles sont immuables, elles se lisent dans les lignes de la main, comme la destinée de chacun de ses membres. Il faut respecter la femme, les aînés, la parole donnée. Malgré les feux de camp, les beuveries à la guitare, l’âpreté de la vie en caravane, la dureté du regard de ceux qui vivent autrement et vous suspectent de toujours chouraver, il n’est pas acceptable de succomber à la « mélancolie occidentale de l’homme sédentaire ».
Chaque matin doit refleurir comme un sureau, pour paraphraser Giono, dans Le chant du monde auquel ce roman ressemble parfois. Parmi la troupe imaginée par Céline Laurens, qui écrit pour La Revue des Deux Mondes, il y a d’abord la Grande Dora aux pouvoirs divinatoires. Son visage couleur olive, rehaussé par un chignon blanc, impose le silence quand l’avenir s’annonce fuligineux. Elle sait que le destin des gitans n’est pas celui des dieux grecs. Il permet la liberté de faire un choix, quelquefois funeste. Elle sait également qu’il ne faut jamais refuser l’hospitalité si on la lui demande. Et quand l’Étranger arrive au campement cet été-là, même si elle pressent qu’il est porteur de troubles, elle ne le rejette pas. Il marquera à jamais les mémoires de la communauté aux normes singulières.
Le narrateur est lui-même un gitan. L’histoire qu’il écrit fait la part belle à l’oralité. C’était un pari audacieux de la part de Laurens. Le lecteur aurait pu se lasser. Il est, au contraire, transporté comme l’est la pierre par les eaux bouillonnantes du torrent de montagne, au printemps. Il tombe amoureux d’une frondeuse gadji, une non-gitane. À partir de là, tout se met en place, c’est huilé, jusqu’au terrible dénouement. Les autres personnages, Sara, Theresa la Harpie, Miguel, Livio, ou encore le père Genepi, Pepino, Amos, font penser à des personnages d’un tableau de Bruegel l’Ancien. Ils sont aussi tourmentés, mais sous un ciel moins obscurci.
Autodérision salutaire
Ce premier roman en appelle d’autres. C’est une évidence. D’autant plus que Céline Laurens pratique l’autodérision salutaire. Je vous conseille de vous attarder sur la description de l’écrivain-voyageur qui répond aux questions du libraire et des curieux venus le voir. Savoureux.
Et puis vous ne serez plus insensible au chant des chardonnerets, à condition que vous sachiez le reconnaître.
[ Signé : Pascal Louvrier? auteur de "Johnny que je t’aime" (Praxys diffusion) et directeur littéraire des éditions Tohu-Bohu. Publié le 20 novembre 2021 ]