Aucune force militaire au monde n'a autant que la Légion étrangère captivé l'imagination populaire par son image sulfureuse et par le mystère et le romantisme qu'elle cultive. Le mythe est même si puissant que le non-initié éprouve quelque difficulté à distinguer le vrai du faux : qui et que croire ? Les récits des anciens, simples légionnaires ou officiers, ne disent pas tous la même chose, loin de là; le cinéma et la littérature, tantôt favorables, tantôt hostiles, exploitent les clichés jusqu'à l'absurde pour complaire au public ; les archives, peu accessibles, ne sont au demeurant pas très bavardes sur les sentiments des hommes.
La Légion est depuis le début une tour de Babel composée d'engagés de nationalités et d'origines sociales variées en quête d'une vie nouvelle, mais elle n'est pas le ramassis de criminels repentis, d'aristocrates déclassés, de têtes brûlées et de réfugiés politiques désorientés que l'on croit. Elle a toujours su redonner dignité et estime de soi à des gens pour qui elle constitue une famille de substitution, mais elle n'en fait pas des saints, et d'ailleurs la désertion a toujours été pour elle une plaie endémique. Ses exploits guerriers - principalement aux colonies mais aussi au cours des deux conflits mondiaux - justifient sa réputation de corps d'élite, mais elle a aussi connu la défaite, la démoralisation, le sous-équipement, le sous-encadrement. Elle a souvent obéi aveuglément (et les gouvernements en ont plus d'une fois abusé en l'envoyant au sacrifice sans nécessité ou en lui confiant les sales besognes), mais cela n'a pas empêché certaines de ses unités d'être à la pointe du putsch des généraux en 1962. Elle a développé - à usage interne et externe - un folklore outrancier, mais comment forger et perpétuer autrement un esprit de corps dans une troupe de mercenaires ne parlant pas la même langue et ne se battant ni pour une patrie ni même pour une idéologie ?
Il ne s'agit pas de renvoyer dos à dos laudateurs et détracteurs, mais de comprendre comment s'articulent sur la longue durée les contradictions et les ambiguïtés dont la Légion elle-même, abusée par son égocentrisme et par le regard des autres (malveillance de l'armée régulière, xénophobie, méfiance du pouvoir politique...), n'a pas eu pleine conscience.
Fresque épique et chronique scrupuleuse en même temps, cet ouvrage américain est sans précédent par son ampleur - il couvre les cent trente et un ans (1831-1962) durant lesquels la Légion étrangère a été engagée ou stationnée outre-mer -, par la sûreté et la diversité de son information, par la distance, l'objectivité et la finesse de ses jugements.
Douglas Porch est professeur d'histoire militaire à The Citadel, de Charleston (Caroline du Sud), et à l'Ecole navale des Etats-Unis à Newport (Rhode Island).