Légende dorée ou légende noire ?
5/5 Réseau Regain .
.----. Conseiller du prince ou âme
damnée, pygmalion ou gourou, la
frontière est mince, en politique,
entre le vice et la vertu. Le pouvoir
ne connaît que le clair-obscur. Patrick
Buisson aussi. Entre légende dorée
et légende noire. L’éminence grise
cultive le secret, le faiseur de roi
suscite des fantasmes, le champion
du débat d'idées intrigue. C'est pour
les uns "le mauvais génie" tombé en
disgrâce ; pour les autres, l'architecte
de l'élection de 2007 et celui qui a
évité au président sortant un naufrage
en 2012.
Surnommé "l'alchimiste" par
l'ancien chef de l'Etat, le conseiller
a posé les jalons d'une révolution
conservatrice, aujourd'hui "hors les
murs". Peut-être demain dans les
murs. Identité nationale, rupture
du front républicain, retour des
frontières, levée des tabous : la
droite décomplexée n'en finit pas
de soigner sa ligne Buisson, avec
ou sans Sarkozy. L'enjeu ? La bataille
culturelle. Voici l'histoire d'un
homme clivant, forcément clivant,
qui a changé le visage de la droite.
Patrick Buisson est sans conteste
l’un des plus profonds stratèges de
la droite. On l’a vu lorsqu’il permit,
avec le succès que l’on connaît, à
Nicolas Sarkozy de l’emporter en
2007, sur une ligne « populiste »
de droite.
L’auteur, connaissant la pensée
de Patrick Buisson depuis longtemps,
propose dans cet ouvrage des clés
de lecture pour la compréhension
de cette fameuse « ligne Buisson ». [ Notes de lecture de Georges Leroy, mai 2017 ]
Voici la suite...
5/5 Monde et Vie, n°935, février 2017
« Tout ce que Patrick Buisson n'avait pas encore dit » annonce l'éditeur en bandeau de cette « Droite buissonnière » qui vient de paraître.
L'ancien conseiller de Nicolas Sarkozy n'a pourtant pas dit son dernier mot. Mais ce livre de François Bousquet, revenant sur Buisson, sa vie, son oeuvre, dans un essai stimulant, nous permet de mettre au clair tout ce que nous croyions savoir, en nous dévoilant la continuité des événements, dans un style puissant et imagé qui fait un écho naturel à l'auteur de la Cause du peuple.
Par ailleurs, marquées chaque fois d'un astérisque, de longues conversations entre l'auteur de cette droite buissonnière et son héros nous permettent de préciser ce que le feu de l'événement avait pu empêcher de voir ou de comprendre sur le moment, avec à nouveau la musique extraordinaire, le style de Patrick Buisson.
On retrouve bien sûr à chaque page le thème central de la politique selon Patrick Buisson, son credo, source de tous les développements ultérieurs : il faut rendre le pouvoir au peuple. Dans son discours d'investiture, Donald Trump qui n'est pas conseillé par Buisson, a dit exactement la même chose : rendre au peuple le pouvoir que lui a pris Washington.
C'est le fond de ce que l'on appelle, sans doute à faux, le populisme, qui fait florès partout dans les pays développés, au grand dam de la classe dominante. Le génie de l'analyste politique, omniprésent sur les plateaux de la chaîne d'information continue LCI à l'époque, a consisté à démontrer à Nicolas Sarkozy que désormais il n'était plus question de « gagner au Centre », comme l'avait fait Valéry Giscard d'Estaing en... 1974, mais qu'il fallait gagner au peuple. Bien avant Laurent Bouvet, qui sur ce point, est l'un de ses disciples, Patrick Buisson avait compris que dans une France livrée à la désindustrialisation et aux pressions insensées de l'économie de marché internationale, il fallait une parole forte pour réinstaller une vraie sécurité des Français, au moins, parce que tout commence par-là, une sécurité culturelle.
Gouverner au peuple, un beau programme ? Encore faut-il préciser ce qu'est le peuple. « Le peuple ne devient pas peuple en faisant acte de souveraineté, explique Bousquet, il précède sa constitution politique. Le peuple n'est pas pour Buisson ce "signifiant vide" qu'a cru y déceler le grand théoricien du populisme de gauche, l'Argentin Ernesto Laclau.
Le peuple de Buisson, c'est une communauté d'origine, de destin et de moeurs. (...) C'est toute la différence entre l'identité nationale et l'identité républicaine. L'une [celle de Buisson] prend naissance dans l'histoire et la culture, avant de s'instituer politiquement. L'autre dans la politique, avant d'exister historiquement et éventuellement culturellement ».
Le peuple selon Buisson n'est pas politisé d'emblée, comme le sont les révolutionnaires. Il a une vie sociale, dans laquelle s'exprime le génie d'une religion qui est, historiquement et culturellement, la religion catholique.
On a parlé à ce sujet, Buisson lui-même emploie l'expression, d'un populisme chrétien. « L'érosion de la pratique religieuse, explique Bousquet, ne signifie pas la disparition du christianisme en tant qu'histoire commune et identité partagée ». C'est ce qu'il conviendra d'expli¬quer à M. Le Morhedec.
Un ordre du discours
Il faut insister aussi, Bousquet ne manque pas de le faire, sur deux grands événements historiques que la communauté française n'a pas encore soldés, et qui se dressent comme des montagnes infranchissables devant quiconque essaie de parler raisonnablement d'avenir : la guerre d'Algérie, qui d'après les manuels scolaires s'étend de 1954 à 1962, mais qui, d'une certaine façon n'est pas terminée, et la Révolution de Mai 68, révolution soi-disant anti-consumériste et qui appelait en réalité à abandonner tout arbitrage à la facilité de la consommation.
Ces deux événements, Patrick les a vécus profondément, jeune homme à 13 ans, quand il refuse de se lever, en cours, pour honorer une minute de silence en l'honneur des morts du FLN.
À cet âge tendre, il était déjà blindé contre la mauvaise conscience occidentale et réclamait que l'on honore aussi et d'abord les morts français.
Et puis, jeune militant de la FNEF à Nanterre, alors que ce syndicat allait être mêlé de très près aux premiers soubresauts, en mars et en avril, de la Révolution de Mai. On connaît la thèse, bien mise en valeur par Bousquet : Buisson voit dans 1944 le commencement d'un ordre moral, qui met fin à ce qu'il appelle « les années érotiques, 1940-1944 ».
1968 est de ce point de vue la revanche de 1944, apparemment une grande libération des moeurs, en réalité une revanche instrumentalisée par l'ordre marchand qui voit dans le déchaînement des sens le préambule obligatoire au déchaînement de la consommation.
Ce que Patrick Buisson n'a pas encore dit ? Il nous emmène très clairement dans deux directions qu'il approfondit.
La première ? C'est, me semble-t-il, une histoire du désir et de l'ordre moral en Occident, dont nous sommes les dupes, parce que nous croyons à la liberté du désir alors que nous nous trouvons aujourd'hui devant l'Ordre moral individualiste et consumériste le plus contraignant qui soit, un ordre pour lequel, par exemple, l'avortement est un dogme.
La seconde ? Un approfondissement de ce catholicisme identitaire, qui, au-delà des églises bien fatiguées, consisterait d'abord à favoriser un christianisme culturel, dont Bousquet dit bien, pour conclure, qu'il est « le seul rempart face à l'islam ».