Une grande fresque !
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.----. Ce nouvel essai de Renaud Camus se présente comme une grande fresque, celle qui décrit un monde dont la caractéristique principale est la « dépossession », ou le fait que tout, des objets aux peuples en passant par les individus, devient remplaçable et remplacé.
C’est après avoir rappelé son vocabulaire spécifique au lecteur – nous l’en remercions – ainsi que ses thèses précédentes (parmi lesquelles le Grand Remplacement ethno-démographique, le Petit Remplacement qui abolit les cultures au profit de la sous-culture universelle, l’existence des races en tant que peuples et des peuples en tant que personnes morales) que Renaud Camus opère un bond en arrière pour analyser les origines du remplacisme global.
Si aujourd’hui tout est remplaçable et remplacé, c’est qu’à la fin du XIXe siècle et au début du XXe l’homme a d’abord été remplacé par la machine ; il a été réifié, réduit à l’état de produit par le Système managérial, par l’intermédiaire du taylorisme et du fordisme puis par leurs plus fervents émules, le nazisme et le stalinisme qui ont contribué à la massification totalitaire des individus. Aujourd’hui, héritage des totalitarismes, ce sont les cultures qui sont remplacées par l’universelle culture petite-bourgeoise, les races et les identités populaires par la « MHI » (Matière Humaine Indifférenciée). Pour résumer l’essai autant qu’il se peut, nous pouvons affirmer que le phénomène remplaciste parachève le fordisme en standardisant et en égalisant tout, donc en dépossédant l’humain de toute spécificité.
Quel est alors l’esprit de l’antiremplacisme ? Pour les individus, il s’agit de les lier à nouveau avec leur peuple et ce qui y est attaché : une grande culture, une langue, une histoire, un être-au-monde propre, ou, pour le dire comme l’auteur, un « st ». Quant aux peuples et aux civilisations, ces ensembles de peuples proches, il s’agit de les préserver dans leur identité et de les maintenir dans une coexistence séparée, condition sine qua non d’une coexistence heureuse et d’un véritable enrichissement culturel. Dans les deux cas, il s’agit de refuser le « parc humain » qui s’établit sous nos yeux, et l’interchangeabilité généralisée.
Le reproche que l’on pourrait faire à Monsieur Camus, c’est d’abolir la frontière entre le réel et la dystopie. En effet, à force d’analyser les dystopies d’Orwell, d’Huxley et des autres et de constater leur application actuelle, l’auteur peut avoir tendance à caricaturer la réalité pour la faire ressembler elle-même à une dystopie. Il en est ainsi des divers types de Remplacements avec un grand R et plus généralement de la peinture de l’humanité contemporaine, qui semble exagérée et généralisée au regard du jugement nuancé qu’imposent les faits. Cela étant dit, l’essai y gagne peut-être un caractère prophétique…
[ Signé : Gabriel Daruni dans Lectures de La Nef, numéro de novembre 2022 ]
PS : Qu'est-ce que La Nef ? :
La Nef a été créée en décembre 1990, c'est un magazine mensuel, catholique et indépendant. Ce faisant, La Nef s'inscrit clairement et sans complexe dans une ligne de totale fidélité à l'Église et au pape qui la gouverne.
Expropriation de l'homme enraciné !
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.----. Ayant longtemps publié à compte d’auteur – après avoir été banni par ses éditeurs –, l’essayiste Renaud Camus a trouvé aux Éditions de La Nouvelle Librairie un relais aussi sérieux qu’efficace à la promotion de ses œuvres – son responsable, François Bousquet, lui ayant même consacré un long entretien dans un récent numéro de la revue Eléments. C’est ainsi qu’après avoir réédité un recueil de textes et de discours, pour certains inédits, sous le titre Le Grand Remplacement – sous-titré « Introduction au remplacisme global » –, l’éditeur de la rue Médicis a réitéré récemment leurs suites logiques avec, d’une part, Le Petit Remplacement, d’autre part, La Dépossession – sous-titré « Ou du remplacisme global ».
Le Petit Remplacement ne renferme pas moins de six essais antérieurement publiés par le prolixe et éclectique écrivain de Plieux : La Dictature de la petite bourgeoisie (2005), La Grande Déculturation (2008), Décivilisation (2011), Les Inhéritiers (2012), La Civilisation des prénoms (2014) et Le Mot “musique” (2018). Camus défend la thèse, assez simple mais irréfragable, des multiples petits changements qui, de proche en proche, ont littéralement transformé et modifié le visage, les mœurs, la culture, les habitudes, jusqu’à la langue et aux comportements de nos sociétés devenues hypermodernes. Pour Camus, « le Petit Remplacement, c’est le changement de culture. Le Grand Remplacement, c’est le changement de civilisation. Le Petit Remplacement, c’est le changement de sens. Le Grand Remplacement, c’est le changement de sang. Le Grandexpropriation Remplacement n’est rendu possible que par le Petit. Toutefois, il l’accélère à son tour. L’interaction est réciproque. »
Avec La Dépossession, l’écrivain poursuit sa réflexion sur ce processus implacable et inexorable qu’il appelle le « remplacisme ». Qu’est-ce que la dépossession ? C’est l’exlpropriation de l’homme enraciné par son double déraciné. Renaud Camus en situe l’origine à la fin du XIXe siècle, quand la Science remplaça Dieu comme instance suprême de la vérité. Dans cet essai aussi magistral que monumental (près de 850 pages), l’auteur se plonge dans la généalogie philosophique du « Remplacement », ce mouvement tectonique qui travaille les profondeurs anthropologiques et culturelles de nos sociétés post-industrielles en y substituant toutes choses par son ersatz plus simple, plus efficace, moins coûteux, normalisé, standardisé. Ainsi dépossédé de son essence, l’être humain n’est-il plus qu’un rouage de la mégamachine productiviste et consumériste, identique aux autres, remplaçable à souhait. Pour Camus, la Dépossession est au principe même du Grand Remplacement.
L’ouvrage est d’autant plus passionnant que Camus fait œuvre de théoricien d’une thématique, que les sophistes paresseux et malintentionnés eurent tôt fait de cataloguer dans le débat public comme conspirationniste ou d’« extrême droite ». En fin de volume, un glossaire définit les mots essentiels (Davocratie, Faussel, Nocense, Grande Presse, etc.) pour cerner au plus près l’artificialisme d’un monde que Guy Debord avait commencé par voir comme « Spectacle », soit ce moment factice de la marchandisation unidimensionnelle – pour parler comme Herbert Marcuse. La prophétie de Camus a (hélas) de l’avenir.
[ Signé : Aristide Leucate le 23 avril 2022 sur Boulevard Voltaire, la liberté guide nos pas ]