« Cette année 2015 correspond au 90e anniversaire de la pleine réussite (en 1925) de la grande expédition Citroën qui a réalisé l'exploit de traverser, pour la première fois en automobiles, le continent africain, du nord au sud, depuis l'Algérie (Colomb Béchar) jusqu'à Madagascar. Elle est connue sous le nom de La Croisière Noire. Nous l'avions rapidement évoquée dans notre n°(janvier 2014). Nous y revenons plus longuement aujourd'hui car Ariane Audouin-Dubreuil, fille du chef adjoint de la mission, Louis Audouin-Dubreuil, vient de lui consacrer un superbe ouvrage, paru sous le titre La Croisière Noire : sur les traces de l'expédition Citroën Centre-Afrique. Un splendide album de 176 pages, format 24 x 32 cm, présenté dans un coffret. « Au retour de cette mission, Louis Audouin-Dubreuil, en collaboration avec Georges-Marie Haardt (le chef de la mission), en avait rédigé le récit (paru en 1926). A l'époque, cette aventure connut un engouement exceptionnel, faisant l'objet d'une exposition au Musée du Louvre et fut "popularisée" par un film qui attira un nombreux public. Hélas ! Il faut bien admettre que, près d'un siècle plus tard, cette extraordinaire épopée est, aujourd'hui, bien oubliée, hormis d'un petit nombre de connaisseurs, d'amateurs, voire de nostalgiques. « C'est tout le mérite d'Ariane Audouin-Dubreuil de lui redonner un regain d'intérêt, mais cela s'est fait au terme d'un travail de longue haleine. Son père, au moment de sa mort, a laissé un très riche patrimoine, un exceptionnel "trésor" qu'il avait accumulé au cours de son voyage : "il mourut, dit sa fille, en emportant bien des souvenirs tenus secrets". Elle s'est donc attachée à sortir ces souvenirs de l'ombre et pour cela poursuit inlassablement, depuis 25 ans, ses travaux de recherches, de classement et de diffusion de ces archives, en très grande partie inédites. "J'ai toujours su qu'un jour je trouverai les mots pour parler de cette aventure humaine exceptionnelle, c'est un devoir de mémoire", commente-t-elle. « Son but n'est, cependant, pas uniquement "mémoriel", il est également (et surtout) de dissiper un malentendu, celui que laissent planer les "faux humanistes" contemporains qui fustigent les prétendus excès du colonialisme et "l'exploitation éhontée" (disent-ils) du continent africain par les Français. Il est dans ces conditions indispensable de rappeler et de préciser que cette expédition fut une mission économique, humanitaire, scientifique, médicale, ethnologique et culturelle. « Aidée par des textes et manuscrits inédits de son père, elle livre une synthèse hors du commun qui invite le lecteur "à emprunter les pistes de sable, de sel, d'herbes, de terres craquelées ou spongieuses, de latérite rouge d'une éblouissante Afrique" et de restituer pleinement le visage de ce continent en 1925, "dans sa réalité du moment" qui a laissé une marque ineffaçable dans la mémoire des vingt "aventuriers" qui ont contribué à l'épopée. « Le livre-album est à la hauteur de l'exploit qui s'est déroulé pendant huit mois (du 28 octobre 1924 au 26 juin 1925) au terme d'un parcours de 26 000 km qui a permis de recueillir et collectionner 3900 objets de tous ordres et pendant lequel le peintre professionnel Alexandre Iacovleff a exécuté 700 peintures et dessins. « L'ensemble est abondamment illustré de multiples photographies et de reproductions (hors texte) en fac-similé de 150 documents rares et inédits : lettres et textes manuscrits, plans, rapports de chasses, témoignages d'anthropophagie (sic !) et de naturalisations (taxidermie) d'animaux, journaux de bord, câblogrammes et télégrammes... Au total un superbe "livre-objet" pour rendre hommage à ce qu'ont réalisé des hommes passionnés, comme on aimerait tant qu'il en subsiste encore de nos jours, mais qui sont, hélas ! si peu nombreux (Editions Glénat, 2014). » Jérôme Seguin, dans Lectures Françaises n° 696 (avril 2015)