Ce que ce livre nous enseigne
5/5 Minute, n°2792, 19 octobre 2016
Nous parlions la semaine dernière du combat de l'histoire mené par Jean Sévillia. Ici, c'est plutôt une méditation sur l'histoire que nous propose Michel De Jaeghere. Il a repris des textes parus dans « Le Figaro Histoire », qu'il dirige, pour livrer une longue évocation de l'homme dans son voyage sur la terre. Il n'y a pas de trou dans ce livre. Les escales du voyage sont marquées. L'histoire de l'Occident s'y découvre, mais on voyage, et il est aussi bien question de l'Egypte ancienne, le la Chine, des Incas, ou bien encore, si l'on en vient à notre histoire récente, de la guerre d'Irak et des véritables motivations de l'hyperpuissance américaine.
Peut-on ainsi parler de tout ? C'est la fonction du journaliste que d'y parvenir de manière crédible. Mais pour cela, il faut être capable - et c'est là la force de l'historien -, de repérer les analogies entre les époques, de laisser parler les ressemblances, de saisir les points communs, afin de comprendre le présent par le passé. Pour comprendre la guerre d'Irak, Michel De Jaeghere n'hésite pas à faire ppel à la guerre du Péloponnèse, cette très vieille lutte entre les cités grecques, en particulier entre Athènes et Sparte, pour un « leadership » qui n'est pas un empire, c'est-à-dire qui est incapable d'associer la cité vaincue à sa propre puissance. Le « nationalisme » spartiate n'est pas un système de domination. Il crée un élan, il est victorieux d'Athènes l'hyperpuissance maritime de l'époque -, mais il ne sait pas entretenir l'effet de sa victoire. Il faudra attendre Philippe de Macédoine pour que l'hellénisme ouve le dessein impérial qui puisse le prier partout dans le monde, pour le plus grand profit des pays conquis. L'Empire américain saura-t-il jouer le jeu ou l'Amérique continuera-t-elle de se prendre pour la grande puissance mondiale, déclarant la guerre au gré de son intérêt ?
On sait depuis Thucydide qu'une telle attitude est stérile.
A quoi sert l'histoire ? demande Michel De Jaeghere. Il s'agit de rechercher « la compagnie des ombres » pour comprendre les leçons du passé et en faire autant de sources de vie. Attention : l'histoire n'a aucune visée utilitaire, pas même celle qui consisterait à valider les prétentions de tel ou tel parti. C'est sans doute la raison de la crise de confiance qui la traverse. La méditation de l'histoire, n'hésite pas à écrire Michel De Jaeghere, est un dialogue des morts où nous entendons des leçons de vie. On substitue à l'Histoire un culte très sélectif de la mémoire. Pas sûr que les gamins capricieux que nous sommes, dont l'idéal est toujours dans l'instant, qui ne veulent ni passé ni avenir pour mieux tirer parti du présent, soient prêts à entendre de telles leçons. Et pourtant, il faut bien reconnaître une demande d'histoire, un besoin d'histoire, qui n'a jamais été aussi palpable. Pour le meilleur mais aussi pour le pire.
Le pire, c'est que, alors même que l'histoire n'est plus correctement enseignée à l'école, on lui substitue un culte très sélectif de la mémoire, « une mémoire caricaturée, anachronique et manichéenne », que l'on invoque à tout propos « dans le débat politique, médiatique ou judiciaire ». Et alors, malheur à celui qui ne s'est pas préoccupé par lui-même de l'histoire réelle. On lui imposera d'autant plus facilement qu'il n'y connaît rien les légendes dorées ou les légendes noires qui conviennent aux propagandes du moment. Cette propagande, écrit pour finir Michel De Jaeghere, est, « peut-être pour la première fois dans l'histoire » le culte de la haine des pères : « a haine du passé est nécessaire [à notre société] pour répudier les devoirs, les obligations qu'implique la piété filiale, pour justifier l'ingratitude fondatrice de l'anarchie consumériste et du chaos social ».
Le livre de Michel De Jaeghere est un remède. Il s'agit, dans cette haine de l'histoire qui affleure ici ou là, de sauver le présent et son insouciance : si nos contemporains «dénigrent l'héritage reçu des ancêtres, c'est pour se dispenser d'en porter le fardeau. Pour n'être plus que des consommateurs repus, insoucieux de ce qui dépasse l'horizon de leur vie personnelle. Pour, devenus étrangers à toute lignée, tout passé, toute histoire, jouir enfin sans entraves de leur propre vie, le prix à payer en serait-il l'extinction de nos peuples et la disparition de notre culture ».
A cet égard, le livre de Michel De Jaeghere n'est pas un livre de déploration, mais en lui-même un remède. Vous y trouverez bien sûr des traces de la longue méditation qu'il a offerte récemment, toujours aux éditions Les Belles lettres, sur Les Derniers Jours, cette chute de l'Empire romain qui a signifié quelque chose comme la disparition de tout véritable vivre ensemble et le retour à des modes de vie préhistoriques pour toute l'Europe de l'Ouest Le discours de Synésios devant le Sénat romain à la fin du IVe siècle fait étrangement échos à notre propre situation aujourd'hui, s'en prenant à une immigration de peuplement qui devait, quelques décennies plus tard, avoir raison de la paix romaine et de sa civilisation.
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