Notre mémoire lapidée ?
5/5 Présent n° 8737, novembre 2016
Des enfants sans mémoire historique ?
C'est un ouvrage souvent confus. Déformation professionnelle ? Il ressemble à ces manuels scolaires les plus récents : succession de paragraphes thématiques tantôt théoriques, tantôt anecdotiques, sans hiérarchie ni fil conducteur identifiable au premier coup d'oeil. Une fois passé le tournis qu'entraîne une telle lecture, force est de reconnaître que cet ouvrage s'attaque avec une vision aussi large qu'approfondie - l'auteur est lui-même enseignant - à un sujet fondamental. Comment enseigner l'histoire comme un trésor vivant, comment la transmettre comme un héritage précieux ? Le roman national, cher aux historiens républicains de Michelet et aux « hussards noirs », a été abandonné par les déconstructivistes dans les ann ées 1960 et 1970. Depuis cette date, l'enseignement historique a été laminé, détricoté, largement vidé de sa substance, au gré des nombreux remaniements opérés par les ministres successifs. Admettons ici que Najat n'a fait qu'apporter son petit caillou idéologique à la lapidation de notre mémoire depuis plusieurs décennies.
L'histoire contre le Grand Oubli
Le postulat de Vincent Badré ne manque pas d'intérêt, contre le vieux mythe de l'objectivité scientifique : une histoire neutre, prétendument objective, est une chimère. Elle serait aussi creuse que dénuée d'intérêt. Toute histoire porte un projet politique, une vision du monde. C'est d'ailleurs à ce titre que la France vivante, celle qui se souvient et refuse de mourir, refuse de mourir parce qu'elle se souvient, cette France qui se bat avec tant d'énergie contre le Grand Effacement, la repentance et la haine de soi, se fait entendre. Plus que dans d'autres pays, l'histoire est considérée par les Français comme une matière centrale à l'école, là où l'influence anglo-saxonne impose partout l'omniprésence techno-scientifique.
C'est parce que l'enseignement de l'histoire a été à ce point laminé que les écoles hors-contrat ont fleuri avec une telle rapidité, dans des conditions pourtant difficiles. Que nos enfants, nos petits-enfants, sachent lire et compter, qu'ils puissent étudier en sécurité et dans le respect de nos convictions, voilà qui est central, mais il fallait aussi qu'ils sachent d'où ils viennent et quelle est leur chance d'être nés en petits Français.
Des propositions discutables
L'histoire politisée ? propose des pistes pour rebâtir un roman national « élargi ». Vincent Badré prône ainsi l'intégration de la diversité régionale, une plus grande place réservée aux hautes figures (et non seulement aux chefs politiques), aux héros du quotidien, par exemple ceux qui ont surmont é un handicap ou se sont illustrés à des fins « humanitaires ». Si la démarche est de bonne volonté, on peine à apercevoir les lignes de force d'un tel gloubi-boulga. Badré a bien identifié deux dangers : la non-transmission de modèles, la concurrence mémorielle.
Il plaide donc pour une histoire qui laisse à nouveau la part belle aux personnages, aux beaux exemples, une histoire qui « donnait un certain nombre de règles de comportement vis-à-vis des autres ». Comment ne pas le suivre en ce sens ?
En revanche, quand il plaide pour une histoire fondée sur « les identités françaises », nous freinons des quatre fers tant nous sentons poindre le vieux mythe de l'intégration qui fait le lit des conflits muid-ethniques à venir. Car si l'on veut réarmer intellectuellement les générations qui viennent, il faut bel et bien enseigner une histoire au service de l'Identité fran çaise avec un grand I, en toute honnêtet é intellectuelle bien entendu, mais avec la ferme conviction qu'il faut redonner profondeur historique et fierté de soi aux petites têtes gauloises.
Nous comprenons bien que cela est difficile, voire impossible, dans les établissements sous-contrat, dont Vincent Badré rend compte avec sa riche expérience.
Voilà pourquoi la sécession est indispensable au nom de ce qu'Alain Finkielkraut nomme la « légitime défense scolaire ».
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Comment le gouvernement revoit l'Histoire
5/5 Permanences n°548-549, sept-oct 2016
Le gouvernement a voulu réaliser une «refondation de l'école» et une réforme du collège. Pour cela, il devait relire et revoir à sa manière l'enseignement de l'Histoire et de l'éducation civique. Choisir ce que l'Histoire veut garder de nos mémoires. En France, un tel choix ne peut que déchaîner les passions. Les camps s'affrontent et s'accusent mutuellement de vouloir imposer un «roman national» dangereux ou une«repentance» excessive ; d'abandonner la chronologie ou de refuser une pédagogie de la construction des savoirs par les élèves. Après un essai sur les manuels d'Histoire, du temps des programme écrits sous Nicolas Sarkozy - L'Histoire fabriquée ? Ce qu'on ne vous a pas dit à l'école -, Vincent Badré, professeur d'histoire-géographie à Paris, a voulu revenir sur la question de l'enseignement de l'Histoire, en tenant compte des évolutions actuelles, des nouveaux programmes de 2016 et en élargissant le regard. Ce nouveau livre veut montrer comment les textes officiels peuvent être mis en application de manière très variée, comment l'histoire et l'éducation civique peuvent se politiser ou devenir des moyens de partager nos mémoires historiques françaises au lieu de les affronter. Il est temps de prendre part au débat sur l'histoire et la fabrique de nos identités.