Parmi les brasiers de l'Histoire, la période de l'essor des fascismes si vite suivi de leur fracassant effondrement brille d'un sombre et singulier éclat. Années rouges enfouies sous les cendres, faut-il n'approcher qu'avec crainte de votre gris linceul ? Faut-il n'ouvrir les yeux qu'à demi sur ce passé si proche, comme l'histoire officielle et établie nous y convia trop longtemps ?
De 1930 à 1945 se nouèrent en fait les fils du drame européen, et démêler un tant soit peu leur écheveau, restituer la vérité d'une époque obscurcie par les fumées du discours, c'est éclairer les siècles précédents ; c'est aussi nous aider à imaginer les formes de notre avenir. Décadence et renaissance, démocratie et révolution, communisme et fascisme, ordre et liberté, idéologie et réalisme, pacifisme et défense nationale, autant de dilemmes truqués qui égarèrent une génération dont les points d'ancrage s'étaient rompus et dont les certitudes s'affolaient.
La dérive de l'hebdomadaire Je suis partout, du nationalisme maurrassien au fascisme le plus extrême, est exemplaire de ce vertige totalitaire qui happa tant d'intellectuels. Pierre Gaxotte, Robert Brasillach, Lucien Rebatet furent les plus brillants écrivains de cette équipe formée au feu de la polémique contre le Front populaire et qui se noya sous l'Occupation dans une collaboration frénétique avec les Allemands.
Gaxotte était parti du journal dès avant la défaite. Brasillach quitte ses camarades en 1943, mais lui seul paiera, de sa vie, pour eux tous ; et son exécution au fort de Montrouge, le matin du 6 février 1945, n'a pas fini de nourrir les passions, plus de quarante ans après.
Il est vrai que les années 1930-1945 forment dans l'Histoire une de ces zones magnétiques qui désorientent les boussoles, empêchent de marcher droit, gauchissent les bonnes intentions, oblitèrent la lucidité. Peu d'historiens y conservent la tête froide et les yeux clairs.
Pierre-Marie Dioudonnat a atteint ce but. Il a raconté l'histoire d'un journal et de ses avatars, il a décrit dans toutes ses nuances l'évolution d'un courant de pensée. A travers Je suis partout, il a mis en scène une époque et ses drames, mais c'est Je suis partout lui-même qui nous entraîne au-delà, dans sa quête tragique, jusqu'au carrefour des interrogations du siècle.
Pierre-Marie Dioudonnat, né en 1945, est docteur de recherches. Il s'intéresse à la généalogie des idées, des partis politiques, desjournaux et des êtres humains. Il est aussi éditeur et libraire.