Génie, Mystificateur ?
5/5 Présent .
.----. Jacques Derrida (1930-2004), l’inventeur de la « Déconstruction », n’est pas de ces
philosophes qui laissent indifférents. « C’est un génie », vous diront les uns. « C’est un
mystificateur », vous diront les autres. C’était, quoi qu’il en soit, un être singulier et un
penseur moins médiatisé qu’un Roland Barthes ou un Jacques Lacan. Sauf aux Etats-Unis, où l’on fait grand cas de son œuvre.
Alors que de gros ouvrages, très érudits et très sérieux (dont une remarquable
biographie de Benoît Peeters) viennent de paraître sur l’homme et l’œuvre, je ne saurais
trop vous conseiller l’essai de Jean Taousson, Jacques Derrida, mes potes et moi.
« D’aucuns se vantent d’avoir été à l’école avec des gamins devenus chefs d’Etat,
d’autres en compagnie de joyeux cancres ayant réussi dans le show-biz. Moi, ce fut avec
Jacques Derrida », écrit Jean Taousson. Et cela se passait dans les années quarante-cinquante à Alger puisque Derrida était – ce qui n’est pas anodin pour essayer de percer
« l’énigme Derrida » – un pied-noir.
Qui était vraiment Derrida par-delà la légende qu’il a patiemment construite et qui a été
nourrie et alimentée par ses pairs ? Qui était Derrida avant Derrida ? Jean Taousson, qui
fut son condisciple et qui partagea avec lui la vie quotidienne et délurée de lycéens
algérois, nous le raconte. Avec une empathie d’autant plus chaleureuse que, jusqu’à la
disparition de Derrida, et malgré des choix politiques qui auraient pu les séparer, ils
restèrent amis. Et ce qu’il raconte est bien évidemment aux antipodes de l’hagiographie
officielle.
Derrida, c’était un potache comme les autres et qui, comme beaucoup de pieds-noirs,
aimait la plage, le sport, les filles. Et qui excellait à mystifier – déjà – ses professeurs.
D’où, révélée par Taousson, une version très plausible de la genèse de la théorie de la
« Déconstruction ». C’est un témoignage, c’est un portrait, c’est une somme d’anecdotes
vécues qui, pour la plupart, contribuent à rendre sympathique et humain, plus humain,
un Derrida qui ne l’était pas toujours.
Pour résumer, citons Taousson : « Je reste persuadé que Jacky [comme l’appelaient ses potes]
a mis ses réels talents philosophiques au service du goût immodéré qu’il avait de se
foutre du monde. » Je suis sûr que Jacques Derrida, dont on peut lire le très savant
Politique et amitié (Galilée) aurait aimé ce livre de copain qui l’aurait délassé un peu de la
pensée de Heidegger dont il était nourri.
On a dit de Derrida qu’il était trop philosophe pour plaire aux écrivains et trop écrivain
pour plaire aux professeurs de philosophie. En lisant Taousson, on comprend aussi que
Jacky d’Alger avait su garder, comme caché en lui, son rêve de lycéen de Ben Aknoun :
devenir footballeur professionnel…
[ Alain Sanders " Présent ", n° 7469 du samedi 5 novembre 2011 ]
Une bouffée de jeunesse
3/5 L'Algérianiste .
.----.Jacques Derrida, mes potes et moi. Une chronique lycéenne des années quarante dans l’Algérie de Papa
Non, Jacques Derrida n’est pas une biographie du philosophe ; ce sont les souvenirs
d’adolescence d’un jeune Algérois, Jean Taousson, qui se remémore ses frasques, celles
de ses amis (parmi eux Jacques Derrida) dans le milieu lycéen algérois pendant les
années cinquante, frasques parfois assez corsées, toujours pittoresques.
Cela ne manque pas d’intérêt : d’une part nous retrouvons le quotidien d’une certaine
jeunesse avec ses habitudes, ses modes, son langage avec en contrepoint Alger, ses
habitants et ses rues, d’autre part nous entrevoyons la personnalité du futur philosophe.
A ce sujet, l’auteur, qui admirait « Jacky » lycéen, son esprit, son intelligence, son audace,
laisse apparaître sa perplexité à l’encontre des idées que son ami développera plus tard.
Ceux qui ont fréquenté les lycées algériens autour de 1950 retrouveront dans ce livre des
réminiscences de leurs jeunes années. Une bouffée de jeunesse
[ Signé : Yves Naz dans " L’Algérianiste ", n° 136, décembre 2011 ]