L'accession d'Adolf Hitler au pouvoir est depuis longtemps un sujet qui suscite nombre d'interrogations, auxquelles de multiples ouvrages ont voulu répondre. Comment un agitateur excentrique, parti de rien, proche même, à ses débuts, du ridicule, a-t-il pu, en janvier 1933, c'est-à-dire un peu moins de dix ans après sa dérisoire tentative de putsch à Munich, devenir chancelier du Reich puis s'affirmer comme un impitoyable dictateur avant d'entraîner l'Europe et le monde dans la Seconde Guerre mondiale ? Talents de démagogue, de catalyseur des masses, doté d'une capacité de persuasion et de séduction capable de convaincre au point de susciter diverses formes d'adulation tout en réussissant à vaincre la résistance de ses adversaires politiques ? Autant de "qualités" qui masquent la plupart du temps d'autres facteurs qui ont grandement concouru aux succès d'Hitler.
Ceux qui se rapportent aux multiples soutiens financiers et matériels qui lui ont permis, dès son entrée sur la scène politique, de prendre de l'envergure au point de représenter progressivement une "solution politique" admissible en Allemagne et hors des frontières également. Tout en lui permettant de balayer, sans le moindre scrupule, les ultimes obstacles qui le séparaient de la dictature. Alors qu'il prétend être un homme du peuple vivant dans le dénuement, Hitler amasse une fortune qui va l'aider à accéder au pouvoir.
On n'ignore pas vraiment tout cela. Simplement en dédaigne-t-on ou en méprise-t-on l'importance. Pour ne pas accréditer des exploitations politiques souvent simplistes ou destinées essentiellement à dénigrer, dans un esprit partisan et sans discernement. Pour ne pas avoir à soulever aussi des aspects dérangeants, susceptibles de démontrer l'exercice d'une complicité vis-à-vis d'un régime coupable à un degré rarement atteint de "crimes de guerre" et de "crimes contre l'humanité".Autre aspect négligé.
Réputé manipulateur, Hitler ne fut-il pas en réalité manipulé, par ceux justement envers qui il était redevable, heureux de trouver en sa personne celui qui serait capable, en instaurant un régime fort, de mettre fin à la crise en Allemagne et de servir du même coup d'autres intérêts, économiques et politiques, en Europe, voire dans le monde ? Le manipulé devenant ensuite le manipulateur dès lors qu'il a pu échapper à tout contrôle ou presque exercé jusque-là par ses "commanditaires".
Dans ce livre parfaitement documenté, Gérard Chauvy revient sur les destins d'hommes d'affaires, d'industriels, de banquiers puissants qui ont servi ou influencé Hitler dans ses exactions politiques et militaires : Au cours des années 1920-1923, Hitler rencontre ses premiers bailleurs de fonds. Grâce aux relations d'un de ses soutiens de la première heure, Dietrich Eckart, et à l'entourage du général Ludendorff, il obtient le financement de son parti.
Il bénéficie ainsi des "dons" de l'un des maîtres de forge de la Ruhr, Fritz Thyssen, et d'autres "bienfaiteurs" représentants de grandes entreprises allemandes. Président de la Reichsbank et ministre de l'économie du IIIe Reich, Hjalmar Schacht est au centre de l'histoire économique et financière de l'Allemagne nazie. Sa contribution à préparer l'économie allemande à la guerre lui vaut de figurer parmi les accusés du procès de Nuremberg.
Voyant les avantages du nazisme pour l'entreprise familiale, les Krupp figurent aussi parmi les généreux donateurs qui participent à la préparation des guerres d'agression menées par les nazis. La société Krupp utilise par ailleurs une main d'ouvre forcée en partie issue des camps de concentration créés par le régime.. Des entreprises étrangères tirent également bénéfice du nazisme, telle la Ford Company.
En 1938, Henry Ford, constructeur automobile emblématique et antisémite maladif, enregistre d'importants profits dans sa filiale allemande d'assemblage de véhicules de troupes. Pendant ce temps, Hitler assoit son pouvoir.
Gérard Chauvy est historien et journaliste au Progrès de Lyon. Il est l'auteur de nombreux ouvrages sur la période 1939-1945, et notamment Histoire sombre de la Milice, paru chez Ixelles Editions.