L’actualité politique qui met l’Espagne sous le feu des projecteurs, sera pour nos lecteurs l’occasion de se pencher sur l’histoire de la péninsule Ibérique, que l’on ne connaît généralement, en France, que dans ses grandes lignes.L’académicien Louis Bertrand, longuement évoqué cet hiver dans Lectures Françaises (n° 789, janvier 2023), est tombé amoureux de l’Espagne, – en plus de l’Algérie. Son goût de la latinité en général et de l’hispanité en particulier lui a d’ailleurs valu des démêlés avec Charles Maurras, entre autres. Dans l’entre-deux-guerres, il a publié une Histoire d’Espagne qui fut rééditée de nombreuses fois.Bertrand observe l’importance du substrat romain antique, notamment par opposition à l’orientalisme carthaginois?; mais l’histoire de l’Espagne proprement dite débute avec son unité catholico-politique sous la royauté wisigothique et le concile de Tolède (589). Une bonne partie de l’ouvrage est consacrée à l’invasion musulmane, à la domination de l’étranger et à l’effort de la Reconquista. Louis Bertrand s’y inscrit en faux (jusqu’à considérer que tous les défauts des Espagnols d’aujourd’hui sont le seul legs qui leur soit resté des Arabo-Musulmans…?!) contre la doxa anticatholique dominante, ce qu’il fait encore contre la légende noire de Philippe II ou celle de la découverte et civilisation des Amériques. Ce dernier point l’intéresse d’autant plus qu’il y voit le rattachement de toute une Amérique à l’Europe latine et catholique, un prodige qu’il souhaitait à l’Algérie.La période contemporaine est à peine évoquée, l’Espagne étant alors un pays diminué, à la merci de soubresauts révolutionnaires. Le seul regret que l’on puisse avoir à cet égard, c’est l’absence de curiosité de l’auteur pour le carlisme, alors qu’il aurait pu y retrouver la continuité des Espagnes qu’il vantait tant, au point de faire de l’Espagnol du Siècle d’or l’homme modèle de la Renaissance catholique.Nous ne résistons pas au plaisir de citer un court extrait en guise de mise en bouche quant à la perspicacité de Louis Bertrand il y a un siècle environ :« J’ajoute que cette histoire lointaine, ce duel interminable de l’Espagnol contre le More, n’est qu’un épisode de l’éternelle lutte de l’Orient contre l’Occident. À des signes infaillibles, on pressent que cette lutte va reprendre avec un renouveau d’acuité. Ce serait une grave erreur de croire que le rôle mondial de l’Islam est terminé. Il y a treize siècles, profitant d’une baisse de la civilisation dans le monde méditerranéen […] et de l’anarchie universelle, l’Islam a pu se propager avec la rapidité d’un incendie […]. Il est à craindre qu’une chance pareille exploitée par des chefs ayant, avec toutes les armes de la civilisation déclinante, toutes les énergies intactes du Barbare, il est à craindre que cette chance ne se représente, pour lui, un jour ou l’autre. Alors, si l’Occident ne veut pas mourir, il lui faudra, comme l’Espagne du Cid, des Alphonse et des Ferdinand, recommencer la bataille et l’œuvre harassante de la Reconquête… »Visionnaire…Philippe de Lacvivier, dans Lectures Françaises n° 795-796 (juillet-août 2023)
