On fait traditionnellement remonter les Temps modernes à l'année 1453. Celle-ci date la prise de Constantinople par les Turcs, la découverte de l'imprimerie, et, en Occident, la victoire française de Castillon. Gutenberg se connaît donc un héroïque contemporain en la personne de Skanderbeg (1403-1468), qui arrête les Turcs à l'Adriatique. L'un et l'autre annoncent cette Europe que nous appelons baroque. Elle durera jusqu'en 1789. Notre famille de peuples avait conscience d'un ennemi commun, maître de la Méditerranée, oppresseur des chrétiens : l'Empire ottoman.
Les circonstances historiques et politiques évoluent. D'autres faits géographiques et culturels demeurent.
Quand Camille Paganel, historien reconnu, publie, en 1855, son Histoire de Skanderbeg, la France de Napoléon III, aux côtés de l'Angleterre de Victoria, mène une étrange croisade en mer Noire. La guerre de Crimée (1853-1856) a été pensée par le cabinet de Londres et par ses alliés parisiens pour empêcher la Russie de tailler en pièces l'Empire ottoman et de s'emparer des Détroits. Cette situation semble à notre auteur tout à fait contradictoire avec sa propre connaissance de l'Histoire. Un siècle et demi plus tard, nous avons vu se développer d'autres rapports de forces, notamment entre la Russie et la Turquie, entre cette dernière et ce que nous appelons aujourd'hui islamisme, etc.
D'autres constantes se dégagent, y compris dans les tergiversations dommageables des Européens. Chaque nation semble ainsi condamnée à se sauver elle-même, ou à périr seule, quitte à voir, après coup, la réaction éplorée de la famille européenne, on disait autrefois la République chrétienne, lorsqu'elle prend conscience de la perte subie.