Il n'est pas possible, pour un philosophe, de considérer que tout ce qui touche au domaine de la vie ne puisse pas intéresser sa pensée. S'il prétendait cela, il ne ferait que construire sur du sable. En est-il de même pour Heidegger ? Au premier abord, son travail philosophique se situe en dehors de tout examen pratique concernant l'être présent au monde.
Pour certains, Heidegger aurait engendré une philosophie située hors du champ quotidien. Et on ne peut, à partir de là, porter un jugement sur ses engagements, notamment sur son adhésion au national-socialisme.
Dans ce Heidegger (Qui suis-je ?), l'auteur essaye de dégager, par-delà polémiques et partis pris, la position la plus proche de la réalité, d'un point de vue empirique et politique, du monde allemand de la première moitié du XXe siècle tel qu'a pu l'aborder Heidegger à travers son œuvre et sa vie. Alors, faut-il rejoindre certains de ses disciples en éludant les questions embarrassantes, et enlever de ses écrits toute dimension qui s'incarne pour n'y voir qu'une quête philosophique ?
La vie des hommes est faite de choix qui engagent toute une existence. On ne vit pas dans un monde désincarné, dans un monde purement intellectuel, mais dans un monde où s'entrechoquent des forces qui nous interpénètrent, dont, quel que soit notre désir, nous devons tenir compte et avec lesquelles il nous faut composer.
Enfin, il faut souligner le danger réducteur de toute interprétation historiciste de la philosophie. Si tout système est le reflet du monde dans lequel vit le philosophe, le problème de la philosophie est de se dégager du factuel pour essayer la dimension de la temporalité qui s'inscrit dans la durée. Toute démarche philosophique s'inscrit entre ces deux pôles : l'incarnation de sa pensée dans l'histoire et le désir de s'en dégager, du moins de se dégager du conjoncturel pour aller à l'essentiel.