Le plus oublié des écrivains célèbres, le plus célèbre des auteurs oubliés ; promeneur oisif, dilettante dans le monde des lettres et de la poésie, ce rêveur distrait et charmant cachait une formidable puissance de travail. On peut se demander comment, ayant passé les deux tiers de sa vie à aller d'une ville à l'autre, en Italie et au-delà, il a pu écrire deux cents comédies, livrets, canevas, dont cinquante chefs-d'oeuvre (Les Rustres, Les Jumeaux vénitiens, La Villégiature, etc.) qui font encore l'admiration des spectateurs, enthousiasmant les comédiens, les comédiennes et les metteurs en scène d'aujourd'hui. Ce "Qui suis-je ?" Goldoni montre que ce dramaturge a créé un genre théâtral inégalé : la comédie bourgeoise à la vénitienne, comme, cent ans plus tard, Eugène Labiche avec ses comédies bourgeoises à la parisienne. Ses personnages, issus pour beaucoup de la commedia dell'arte, rythment avec bonheur les multiples péripéties qui parsèment son théâtre, plus vivace, plus loquace, plus enjoué, en dépit des constantes moralisatrices de son oeuvre, que la plupart de ceux dont les noms plus connus, tels Marivaux ou Beaumarchais. Aussi observateur et philosophe que Molière, son modèle, aussi imaginatif que ce Shakespeare dont il a toute sa vie vénéré le génie, il reçut en son temps, avec modestie, le titre flatteur de "Molière italien". La postérité n'a pas rendu justice à l'éclatante réussite de ses comédies. Elle a méconnu le labeur de cet homme qui possédait tous les dons.