Mauvais sang ne saurait mentir !
5/5 Nous sommes partout.
.----. Jean-Pierre Cousteau vient de publier aux éditions Via Romana une autobiographie passionnante Fils de collabos, neveu de résistant … C’est rare. Ennuyeux est généralement l’adjectif qui sied à ce genre d’exercice. Pierre-Antoine Cousteau, ce père collabo, dernier rédacteur en chef de Je suis Partout, condamné à mort en 1946, libéré en 1953, est mort en décembre 1958 à 52 ans. Jean-Pierre est alors étudiant en troisième année de médecine. Sa mère « Paprika » décédée prématurément, il se retrouve seul à nouveau avec sa sœur Françoise dont le commandant Jacques-Yves Cousteau, frère de PAC, s’occupera sans faille ; avec une rudesse qui lui était propre mais avec un amour sincère, providentiel. Jean-Pierre Cousteau, nous livre ses souvenirs avec un art consommé de l’autodérision et un grand « sense of humour ».
PAC est entré dans ma vie par un hasard de lecture, celle de l’ouvrage de son fils Jean-Pierre : « Pierre-Antoine Cousteau, l’autre Cousteau ».
La rencontre fut fulgurante de par la vivacité de sa plume, de ses analyses, sa perspicacité et une lucidité toute contemporaine notamment dans ses écrits d’après-guerre. Nous ne reviendrons pas sur la période Je Suis Partout où PAC succédant à Robert Brasillach fit le choix, avec son comparse Lucien Rebatet, de la collaboration totale. Ce nihilisme absolu l’a conduit à fuir en 1944 en Suisse, en Autriche dans des conditions narrées dans Les Lois de l’Hospitalité, un ouvrage au style romanesque qui à mon sens est l’un des plus aboutis de l’auteur.
PAC ira jusqu’au bout. Jusqu’à donner sa parole d’honneur à un officier américain de ne pas s’enfuir. Son frère, Jacques-Yves, gagne l’Autriche se démène pour lui trouver des faux papiers afin que lui, son épouse Fernande, « Paprika », et les enfants gagnent l’Espagne de Franco.
Refus de PAC. Il a donné sa parole à un homme qui n’en a guère et dont la troupe conquérante n’hésitera pas à le renvoyer en France.
« La fidélité à sa parole, le panache, c’est superbe sur le papier, dans les chansons de geste. La loi du clan, c’est la règle du jeu sur un terrain de rugby, mais ça peut pourrir une vie, des vies. Quant à moi, sans son refus de se réfugier en Espagne, je n’aurais pas écrit ces lignes car mon enfance, ma vie, celle de ma mère, de ma sœur eussent été normales. Sans Doriot, il n’eût été qu’un parmi les 100 000 de l’épuration ». (page 19).
La rencontre avec Jean-Pierre Cousteau a été tout aussi fulgurante. Car cet homme que nous avons eu longuement le plaisir d’interviewer est d’une humanité rayonnante à la mesure du pessimisme de son père. Ne sont-ils pas d’ailleurs les deux côtés d’une même médaille ?
Sans famille, Jean-Pierre Cousteau et sa sœur vont vivre dans le sud de la France, chez le résistant Jacques-Yves Cousteau qui s’est vu attribuer l’ancienne Villa Reine, qui fut la résidence de l’Amiral Darlan assassiné en 1942. Deux années sans école et de liberté … Arrive 1946. Il est impossible pour l’épouse de PAC de scolariser des enfants de « collabos » en France … Jean-Pierre et sa sœur iront donc étudier en Angleterre où vit leur grand-père.
1950. Retour en France à 11 ans après cinq années anglo-irlandaises. Direction la pension et une fois par mois, le jeudi, Clairvaux pour rendre visite à PAC. « Je n’ai jamais autant vu mon père. Derrière un double grillage séparé par un corridor dans lequel le maton de service tue le temps en faisant les cent pas. Vingt minutes le matin, vingt minutes l’après-midi – et le droit, plutôt la grâce, car mon père est un prisonnier modèle et a obtenu son deuxième galon, une fois par an, de nous embrasser ; nous nous rejoignons, l’espace d’un baiser, en no man’s land, dans le corridor du maton ». (P.40). PAC est libéré en 1953. Jean-Pierre, un an plus tard, sort de pension pour entrer à Janson où un certain Régis Debray fait aussi ses études. Nous n’en dirons pas plus, à vous de lire !
A 15 ans, le fils se retrouve avec sa sœur à vivre avec un père. « J’avais 15 ans, je croyais comprendre mais ne comprenais pas. Nous n’avions pas de souvenirs communs, nous n’étions cependant pas deux étrangers. » (P.66). Pour autant comment comprendre l’engagement nihiliste de PAC ? « Une famille éclatée, des vies anéanties »…
A sa sortie de prison, PAC et ses enfants vivent dans un appartement qui ne lui a pas été confisqué lorsqu’il fut condamné pour indignité nationale car il appartenait à son père.
Le 48 devient une annexe de Clairvaux où se retrouvent les anciens bagnards et autres connaissances mal pensantes. Jean-Pierre Cousteau narre dans des pages passionnantes ainsi ses rencontres avec des personnages comme Jacques-Benoist Méchin, Lucien Rebatet, Jacques Perret, Bernard de Fallois, Louis Malle, Henry Coston, Maurice Bardèche …
Le 17 décembre 1958, PAC décède à 52 ans d’un cancer du côlon … « J’étais en troisième année de médecine et venais de passer le concours de l’externat. J’ai pleuré un bon coup, pas vraiment conscient de la perte qui me frappait. Pas seulement moi. La vraie perte, ce sont ces articles, ces livres qui ne seront jamais écrits. » (P.101).
Suivent de très belles pages sur sa carrière de cardiologue, de médecin fédéral national dans le milieu du tennis et sur ses relations avec ses patients : « Aucun métier, aucun, ne peut offrir de joie supérieure à celle de l’enfant qui guérit ou de peine supérieure à celle de l’enfant qui meurt ». (P.119).
Les relations avec Jacques-Yves Cousteau, les séjours sur la Calypso sont aussi narrés et l’on ressent l’attachement viscéral de l’auteur à la notion de famille. Logique. Lui qui en a tant été privé. « Ma vie sera donc réglée, je ne ferai jamais de politique, je ne risquerai pas ma peau pour des idées, et si je fondais une famille, je serai présent, je ne l’abandonnerai pas, je ne vivrai pas en fuite, en conflit permanent avec les bien-pensants, je n’irai pas en prison. Et si par malheur, je devais m’y trouver, ma parole d’honneur de ne pas m’évader n’aurait aucune – aucune – valeur. » (P.105.)
L’ouvrage s’achève – idée très intéressante – par la publication de lettres dans lesquelles PAC parle de ses enfants.
La lettre d’un père à son fils pour le mettre sur le chemin de la fortune, paru dans Rivarol le 17 novembre 1955 est un régal. « Tu perds un temps précieux à traduire Platon et Cicéron, tes notes de sciences sont déplorablement excédentaires et je constate avec des sueurs froides que tu rédiges des compositions françaises avec une alarmante élégance. En somme, tu es en train de devenir tout doucement un intellectuel, c’est à dire un individu pratiquement inutilisable, voué à des besognes marginales et à des gains dérisoires ». (P. 189).
PAC avait bien cerné les choses. Son fils après une carrière remarquable est devenu l’intellectuel qu’il redoutait, l’intellectuel qu’il a toujours été. Et pire ! Il y a dans la plume du fils de l’encre du père. Mauvais sang ne saurait mentir. [ Signé Clotaire de La Rue sur " Nous sommes Partout " . Publié le 28 septembre 2019 — dans Arts & Lettres & Chansons Jean-Pierre Cousteau, une biographie à cœur ouvert ]
Une incroyable saga familiale...
3/5 L’internat de Paris.
.----. C’est à une incroyable saga familiale que nous convie Jean-Pierre Cousteau (1965) dans une biographie polyphonique particulièrement dense. Peu de gens connaissent l’histoire tragique de son père, Pierre-Antoine Cousteau, écrivain et journaliste*, dont le parcours offre un contraste saisissant avec celui de son frère cadet, le célèbre commandant Jacques-Yves Cousteau.
Personnalité complexe et perturbante, son père, venu de l’extrême gauche dans ses jeunes années, est ensuite séduit par les sirènes de l’extrême droite, et rentre, grâce au soutien de Pierre Gaxotte, au journal Je suis partout en 1932. Cela l’amènera à prendre des positions et à écrire des articles qui lui valurent une condamnation à mort en 1945, commutée en prison à vie par De Gaulle sur les interventions de son frère et de son épouse. Il restera six ans en détention à Clairvaux, et sera libéré en 1953. Rendu à la vie civile, il vivotera en écrivant des articles pour Rivarol, Les Lectures Françaises ou le Charivari, et décède d’un cancer en 1958. Il laisse une somme de lettres et d’écrits que son fils s’efforce de classer et de faire publier ces dernières années. Il sera resté, tout au long de sa vie fidèle à ses convictions , « droit dans ses bottes » pourrait-on dire.
Dans ses écrits, il témoigne d’une plume littéraire d’une grande perfection stylistique et d’une ironie mordante, qui ont pu le faire comparer à la fois aux polémistes du XVIIIe siècle et aux humoristes britanniques.
Vient ensuite la personnalité de son oncle particulièrement attachante. Les premiers souvenirs de notre collègue remontent à son séjour à Sanary à la fin de la guerre , où le futur commandant Cousteau prépare les premières explorations sous-marines, avec la mise au point des appareils de plongée. Sa conception de l’éducation des jeunes enfants est particulière : « l’école à votre âge ne sert à rien, vous avez toute votre vie pour apprendre la vraie vie ». Ce qui permettra deux ans de vacances dans le maquis azuréen, l’un des plus beaux souvenirs du jeune Jean-Pierre. Son oncle sera encore là à la mort de son père, et contribuera à lui faire poursuivre ses études de médecine. Il l’accueillera à bord de La Calypso, et dans les conseils d’administration de ses sociétés.
L’auteur remarque d’ailleurs que son oncle a été l’une des personnalités les plus connues et aimées en France et dans le monde. Il avait même été sollicité à l’élection présidentielle de 1988, et on lui avait fait miroiter la portée que sa candidature aurait eu pour le développement de ses idées. Il n’en n’a rien été, et aujourd’hui aucune place, boulevard ou rue ne porte son nom à Paris. Curieuse ingratitude mémorielle à une période où l’urgence des mesures de sauvetage de la planète fait la une de la plupart de nos quotidiens et hebdomadaires !
Les souvenirs personnels de Jean-Pierre nous font beaucoup voyager. Ses grands-parents le recueillent avec sa sœur à Torquay, port de plaisance du Devonshire. Son grand-père travaille pour un milliardaire américain, dont le voilier a quitté la Méditerranée pour s’amarrer en lieu sûr. Cela permettra au jeune garçon de devenir parfaitement bilingue, mais aussi de pratiquer rugby et crickett.
A son retour en France, quatre années de pensionnat l’attendent, jusqu’en 1953 où son père est libéré et où lui-même rentre à Janson. Puis c’est le déroulement d’une carrière médicale classique, PCB, externat et internat, période qu’il qualifie comme les quatre meilleures années de sa vie professionnelle.
Et c’est alors que reprennent les voyages, avec son affectation dans la Marine, ce qui lui vaut le privilège d’assister à la première explosion nucléaire française à Mururoa – et de nouer de solides amitiés en Polynésie.
A son retour comme chef de clinique chez Jean Lenègre (1927), c’est à ce moment que se décide sa carrière ultérieure. Ce ne fut pas la voie hospitalo-universitaire que lui promettait Jean Himbert (1950), tombé sous les balles des assassins de Skirat, mais la cardiologie libérale.
Comme pour beaucoup d’entre nous, elle lui procure les immenses satisfactions d’une patientèle dévouée et reconnaissante, à une époque où les relations médecin-patient étaient presque toujours empreintes d’une confiance réciproque.
Mais en plus il a pu, par le plus grand des hasards, intégrer le service médical de Roland-Garros et accompagner l’équipe de France de tennis pendant ses plus belles heures. Ce qui lui a valu le privilège de nombreux déplacements, et surtout de souvenirs amicaux et pittoresques.
En conclusion, Jean-Pierre Cousteau nous offre un ouvrage original, à la fois distrayant, rempli d’anecdotes savoureuses dont il nous a fait profiter il y a peu**, mais aussi empreint de gravité et de réflexions sur le sens de la vie – et celui de sa propre vie.
On y retrouvera sous forme de notes en bas de pages, un certain nombre d’acteurs, écrivains et hommes politiques, qu’il a connu plus ou moins directement, et qui traversèrent avec des fortunes diverses une période particulièrement tragique de notre histoire.
Que sa franchise et son honnêteté intellectuelle en soient particulièrement remerciées.
[ François Daniel L’internat de Paris, n°99, mars 2020 ]
* Pierre-Antoine Cousteau, l’autre Cousteau – J.P. Cousteau, Editions Via Romana 2016.
** Article Comme il a dû l’aimer, son internat? , L’internat de Paris 87, mars 2017.