Faut-il se libérer du libéralisme ?
5/5 Présent 7 mai 2016 p 6
La mode est à la dénonciation de « l'ultra-libéralisme », du « libéralisme sauvage ». Pourtant, « l'esprit du monde » n'en a pas fini de chanter les louanges du relativisme et du libéralisme philosophique, c'est-à-dire la modernité. Il y a là une contradiction majeure. Et nous, catholiques, devons-nous nous opposer au libéralisme ?
Constitue-t-il d'ailleurs un bloc cohérent ? Pendant un an, entre 2014 et 2015, une vingtaine d'intellectuels (universitaires, économistes, journalistes) ont planché sur le libéralisme, à la demande de la revue La Nef et de l'Observatoire socio-politique du diocèse de Fréjus-Toulon. Ces articles courts, denses et argumentés ont été compilés en un ouvrage de 220 pages dirigé par Christophe Geffroy et Falk van Gaver (respectivement rédacteur en chef et chroniqueur dans la revue La Nefi, publié aux éditions Pierre-Guillaume de Roux.
On pourrait croire que la cause est déjà entendue. Condamné comme structure de péché par l'Église (Libertas Praestantissimum, 1888), le libéralisme est une fausse philosophie aboutissant nécessairement au relativisme moral et à l'oppression économique. Mais tout est-il à jeter ? L'intérêt précis de cet ouvrage réside dans la qualité de ses contributeurs. Il y a là des antilibéraux patentés, des libéraux revendiqués, et des modérés. Tous professent une égale aversion pour le relativisme moral : on ne trouvera pas, dans ce livre, de libéraux moraux ni de libertaires. Les plumes réunies, si elles entrent en débat et peuvent se chamailler, ont en partage un même souci du Bien commun.
La majorité des contributions rejette le libéralisme en raison de son anthropologie fondamentale. En clair, le rapport avec le monde induit par l'idéologie libérale est individualiste : la personne humaine, ravalée au rang d'individu atomisé, n'a d'autre but que d'assouvir ses désirs égoïstes. C'est à ces fins qu'il s'associe à ses semblables, non par atavisme naturel, mais par un contrat social. En garantissant aux citoyens l'égalité des choix, la société libérale évacue la notion de Bien (a fortiori de Bien commun). Ce détour par le contrat social n'a rien d'anodin : ce mythe est aussi à l'origine de l'État moderne. Or, nos contemporains ont trop tendance à opposer libéralisme et étatisme. Parce que l'État est omnipotent et prédateur, il faudrait être libéral... Foutaises, répond le chroniqueur Falk van Gaver : étatisme et libéralisme procèdent de la même logique. Historiquement, l'un a accompagné l'autre. Anthropologiquement, le libéralisme a besoin d'individus atomisés, sans lien entre eux, en supprimant les solidarités naturelles, les corps intermédiaires, les attachements vitaux.
C'est exactement le projet poursuivi par un État fondé sur le contrat social : rien ne saurait exister entre l'individu-citoyen et l'État-Léviathan. La passe d'armes principale concerne l'unité du libéralisme. Chantal Delsol ou Pierre Manent ont à coeur de dénoncer le relativisme, tout en célébrant les fruits du libéralisme politique (celui de Tocqueville) : les libertés publiques, l'État de droit. Le libéralisme économique régulé, maîtrisé, trouve grâce à leurs yeux. On trouve un point de vue radicalement différent chez Alain de Benoist ou Arnaud Guyot-Jeannin. Pour ce dernier, « le libéralisme s'avère unitaire » car, moral, religieux, économique, philosophique ou politique, il rabat l'existence individuelle sur la prospérité matérielle.
Ainsi comprise, l'idéologie libérale ne peut être confondue avec la nécessaire défense des libertés. Selon la formule attribuée au père Lacordaire, la liberté du libéral est d'abord celle du « renard libre dans le poulailler libre », la liberté amorale du « Laissez faire, laissez passer » (Turgot) aboutissant au déracinement. Si le libéralisme est éclaté dans la pratique, son unité théorique est éclatante. C'est tout l'objet de la conclusion de l'ouvrage par Christophe Geffroy : le projet libéral a bien une cohérence et une logique. Synonyme de modernité, elle est surtout l'idéologie dominante, même dans un pays d'oppression fiscale comme la France. Mais, concrètement, comment se libérer du libéralisme, ou du moins en évacuer les effets néfastes ? Christophe Geffroy, à la suite de Benoît XVI et de François, appelle à un « changement de style de vie » afin de bâtir une société « simplement plus conviviale et plus humaine ».
<p align="right">Tugdual Fréhel <a href= http://www.present.fr/ target=_blank>www.present.fr</a>
Contradiction
1/5 Siegfried
En réponse à Présent, quelques questions :
- comment peut-on prétendre être catholique tout en étant libéral ?
- comment peut-on discuter au sujet d'une condamnation du magistère de l’Église qui oblige en conscience ?
- comment peut-on encore prendre du plaisir à discourir et disputer autour de ce qui nous unit, plutôt qu'autour de ce qui nous divise ?
Au lieu de chercher des points communs accidentels et contingents, regardons plutôt ce qui nous divise, que les plus mécontents s'en aillent, et rallions-nous tous à la voix de l'Église en laquelle nous professons tous notre Foi.
Cela, oui, c'est de l'anti-libéralisme. Donc ce livre, présenté comme tel, n'est pas autre chose que la continuité du libéralisme tant qu'il laissera supposer qu'on en peut conserver du bien.