Cohérent dans la démesure !
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.----. Bloy est un écrivain rare, original,
formé à l’école exigeante de Barbey
d’Aurevilly ; il a avalé la Bible en
son entier ; il a avalé aussi le Littré.
Sa phrase est un feu d’artifice. Il
jongle en virtuose avec les catachrèses
et les anacoluthes, les métonymies
et les apocopes. Il exagère
et s’en justifie fort bien: «Dans l’Absolu,
il ne peut y avoir d’exagération
et, dans l’Art qui est la recherche de
l’Absolu, il n’y en a pas davantage.
[…] L’hyperbole est un microscope
pour le discernement des insectes
et un télescope pour rapprocher les
astres. »
Pour aggraver son cas, il use et
abuse de la scatologie et de l’eschatologie.
Mais la fureur de Bloy est
«la fureur du Juste». Dans ses essais
et ses pamphlets, il veut uniquement
témoigner du sens de l’Absolu et en
donner le goût. Le drame de cet
homme, c’est que ses contemporains,
en particulier celui qu’il appelle le
Bourgeois, sont davantage des «touristes
du relatif » que des «pèlerins
de l’Absolu».
Depuis sa conversion, survenue
entre 1867 et 1869, une soif inextinguible
de Dieu donne à Bloy
allure d’insensé alors que justement,
à la différence d’un insensé, il sait
où il va. Mais comment ne pas hurler
quand on vit dans les ténèbres et
qu’on a entraperçu la lumière? Comment
ne pas hurler, pour soi de joie
et d’espérance ? Comment ne pas
hurler pour prévenir les autres ? « Si
je pouvais écrire des cris, j’exprimerais
peut-être une partie de ce
que j’éprouve en ce moment »,
confie-t-il à Ernest Hello. Son oeuvre,
c’est une suite de cris, de plus en
plus suppliants.
Léon Bloy n’est pas un anticonformiste
qui s’affiche comme tel, à
la manière ostentatoire des écrivains
qui commencent avec cette étiquette
et qui se retrouvent à l’Académie
française ou au Panthéon. Quand il
règle son compte au P. Henri Didon,
flamboyant dominicain, en le traitant
de « Savonarole de Nuremberg »,
quand il s’en prend à Paul Bourget,
qualifié d’« Eunuque » puisqu’il lui
manque quelque chose, quand il
immortalise Zola en « crétin des
Pyrénées », Léon Bloy ne cède pas
à l’amertume du raté face à ceux
qui ont réussi dans la vie. Il témoigne
de la nécessité d’un verbe humain à
la hauteur de la mission qui lui a
été dévolue. Or cette mission est
sacrée: elle consiste à garder l’Arbre
de vie du livre de la Genèse pour
que tous les hommes, et surtout les
plus pauvres, puissent en cueillir les
fruits.
Léon Bloy n’est pas un phénomène
de foire, une espèce d’excentrique
insupportable dans la galerie
des écrivains sérieux, ceux qu’on se
doit d’étudier au lycée. C’est un catholique
résolument campé au coeur
de l’Église mais très dérangeant pour
ses coreligionnaires parce qu’il fait
le ménage dans leurs rangs avec
beaucoup d’efficacité. Par un travail
acharné, il se donne les moyens de
penser son époque afin d’y vivre en
cohérence avec l’Évangile. Et dans
nombre de ses choix, il ne se trompe
pas. Pauvre lui-même jusqu’à la misère,
il épouse la cause du Pauvre
contre le Bourgeois. Il comprend
que le Sang du Pauvre, c’est-à-dire,
pour lui, le Sang du Christ, coule à
flots quand un propriétaire chasse
son locataire insolvable ou que les
colonies asiatiques de la France
constituent un lieu d’exploitation
inavouable… En épousant la Douleur,
Léon Bloy a consenti à cette mort à
soi évangélique qui permet d’accéder
au Pays où l’on peut enfin respirer.
C’est là qu’il entraîne encore ses
lecteurs, cent ans après sa mort.
La fréquentation de Léon Bloy
n’est donc pas dangereuse pour la
santé mentale des lecteurs et, si l’on
accepte sa prétention à parler en
« pèlerin de l’Absolu », il est possible
de s’intéresser à lui de manière
très raisonnable sans verser dans l’illuminisme
!
Léon Bloy est cohérent
dans la démesure assumée de son
propos. Léon Bloy est finalement
beaucoup plus fréquentable que sa
légende noire ne le prétend. [ Notes de lecture de Georges Leroy, décembre 2017 ]
« Celui qui ne prie pas le Seigneur prie le diable. »
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.----. Après avoir enfilé une soutane
blanche et béni la foule rassemblée
place Saint-Pierre, l’un des premiers
travaux du pape nouvellement élu
consiste à préparer l’homélie de la
messe qu’il célébrera le lendemain
matin, en présence des cardinaux,
dans la chapelle Sixtine.
Le jeudi 14 mars 2013, le pape
François a surpris le monde entier
en citant, comme s’il s’agissait d’un
antique Père de l’Église, l’écrivain
Léon Bloy : « Celui qui ne prie pas
le Seigneur prie le diable. » Et le
Pape a commenté en introduisant
un thème majeur de son pontificat :
«Quand on ne confesse pas Jésus-
Christ, on confesse la mondanité du
diable, la mondanité du démon. »
La citation est tirée du Révélateur
du globe, premier ouvrage publié
de Léon Bloy, en 1884.
Cette citation de Léon Bloy et
l’écho immense qu’elle a reçu disent
l’importance de l’homme et de
l’écrivain, bien au-delà des milieux
catholiques. Entre mille autres auteurs,
Nicolas Berdiaev et Jacques
Maritain, Jorge Luis Borges et
Georges Bernanos, Franz Kafka et
Emmanuel Lévinas, Philippe Muray
et Michel Houellebecq ont été des
lecteurs assidus et attentifs de l’oeuvre
bloyenne… « Je fais des livres
qui vivront mais qui ne me font
pas vivre », prophétisait Léon Bloy
en 1899. Son oeuvre ne peut laisser
indifférent.??La violence littéraire de
Léon Bloy a conduit à lui appliquer
un vocabulaire pour forcené irrécupérable
ou même pour animal
sauvage. On l’a ainsi qualifié
d’« aboyeur », de «démolisseur en
chef de notre modernité », de « vociférateur
», d’« enragé », de « furieux
», d’« intransigeant»… Il est
vrai que lui-même s’était fait imprimer
des cartes de visite professionnelles
au moyen desquelles il
se présentait comme «entrepreneur
de démolitions». ( suite ... ).