Entretiens

Maître dans l'art de crever les baudruches !

4/5 Plaisir de Lire

.----. Ceux qui, à la télévision, ont pu suivre les entretiens de Gustave Thibon avec Christian Chabanis, qui en ont été comblés, pouvaient craindre de les voir se figer sous la forme du papier imprimé. Les "entretiens", c'était la parole de Thibon, mais aussi son visage, sa maison, les paysages de son Ardèche natale . Isoler les propos c'était courir le risque de leur enlever la palpitation de la vie . En fait, en fixer la substance, c'était ressusciter le plaisir fugace éprouvé par les auditeurs ; c'était aussi, donner à beaucoup le désir de connaître davantage Thibon et son oeuvre . D'emblée Christian Chabanis va à l'essentiel : "L'infini seul donne la clé de la mesure", avez-vous dit "et Thibon d'enchaîner : "Il est certain que le problème de Dieu est au centre même, non seulement de ma pensée mais de mon âme." Les entretiens sont une méditation sur ce thème essentiel, méditation qui s'appuie toujours sur les réalités les plus simples de la vie, pour faire irruption dans le surnaturel . Dans notre monde si terre-à-terre, il est remarquable que des cris s'élèvent çà et là, crevant la carapace matérialiste . "Dieu existe, je l'ai rencontré" écrit Frossard . Maurice Clavel crie à son tour avec véhémence dans "Ce que je crois" sa foi retrouvée, Didier Decoin publie "Il fait Dieu". Avec Thibon, ce n'est pas le cri ni l'extase . La foi pour lui "est une blessure" . Humblement, il avoue : "La foi peut s'altérer avec le temps" et il ajoute : "Garder la foi, c'est garder la blessure ouverte" . L'extase, la rencontre fulgurante n'étant pas expérience courante, ces formules chemineront avec fruit dans l'esprit de beaucoup de chrétiens - piétaille anonyme et le plus souvent sans gloire . Peut-être aussi indiqueront-elles utilement à ceux qui "cherchent" que la foi n'est pas une évidence . Thibon part toujours des réalités quotidiennes ; il les observe avec un regard pénétrant, et sans effort il fait irruption dans le surnaturel . La vie de tous les jours, il l'aime, nous en fait partager la saveur, mais il en connaît aussi les insuffisances . Il se montre réellement maître dans l'art de crever les baudruches, de traquer les faux-semblants, de dépister les modes absurdes . Enfin, sans grandiloquence, avec gravité, Thibon parle de la mort, ce sujet-tabou devant lequel aujourd'hui tout un chacun se voile la face . "Je ne sais pas comment je mourrais, mais je ne voudrais pas mourir dans l'inconscience. Je préfèrerais mourir dans l'angoisse . Enfin, je préfèrerais mourir vivant". Christian Chabanis conduit le dialogue en restant discret . POUR QUI CE LIVRE ? : pour tous à partir de 17 ans . [ " Plaisir de Lire " , numéro 34 , Pâques 1976 ]