L'Algérie du Sud ...
5/5 L’Action Française 2000
.----. Paul et Kader de retour
Norbert Multeau nous replonge en Algérie.
En 2009, notre ami Norbert Multeau avait publié un roman-souvenirs, Paul et Kader.
Avec " En passant par l’Algérie, dernières nouvelles du bled ", il nous fait aujourd’hui,
comme il le dit lui-même dans l’avant-propos, Le cadeau d’un « bonus », composé
de saynètes qui « auraient pu être incorporées au roman », mais auraient diverti de
l’intrigue centrale. Elles constituent autant de photographies de ce bled où Multeau
est né et a passé sa jeunesse – des photos, du reste, accompagnent les textes.
Car nous y retrouvons l’Algérie de l’auteur, qui n’est pas celle d’Alger mais du Sud,
où la condition des petits Blancs n’était guère plus aisée que celle des Arabes. Nous
retrouvons aussi tes deux amis Paul et Kader – « L’ami arabe » est le titre du premier
chapitre – au centre des mêmes péripéties tragi-comiques, sur fond d’un terrorisme
qui fait son apparition dans le récit comme il le faisait au village ou à Boghari, la
ville voisine : à l’improviste.
C’est pourquoi nous nous rappellerons longtemps la figure du jeune Moha-Taïeb. La
sensibilité de l’écriture y est évidemment pour beaucoup : c’est que Norbert Multeau
dépeint une réalité intimement vécue – l’auteur parle l’arabe –, une réalité aimée
aussi.
Sans ligne directrice apparente, le récit nous conduit insensiblement à l’abandon du
village où ne finira par rester que la postière, qui refuse de quitter l’Algérie : – « Je
n’ai personne en France. Et ici ? – Ici, j’ai mes morts. » Les morts font aussi la
patrie. Est-il toutefois certain que l’auteur soit réellement parti ? Inconsolé, il va voir
souvent s’il y est toujours. « Eh bien, nous confie-t-il, j’y suis. » [ Signé : Axel Tisserand dans " L’Action Française 2000 ", n° 2836, du 15 mars au 4 avril 2012 ]
L’Algérie française blédarde et picaresque
5/5 Présent .
.----. Avec la commémoration du cinquantième anniversaire (1962-2012) de notre exode
d’Algérie française, on va avoir droit – et ça a déjà commencé – à une palanquée
d’ouvrages. Certains pleins de bonnes intentions mais, une fois de plus, une fois de
trop, très « popopo, dis » et « soleil de mon pays perdu ». D’autres plus techniques,
expliquant, pour la énième fois le pourquoi du comment. Et plein d’autres – et ceux-là auront droit aux médias, bien sûr – crachant sur notre communauté une fois de
plus, une fois de trop, caricaturée, martyrisée, insultée.
C’est la raison pour laquelle je vous encourage chaudement, si vous ne deviez retenir
qu’un seul livre pour l’heure, à vous procurer toutes affaires cessantes l’ouvrage de
Norbert Multeau, En passant par l’Algérie, sous-titré : « Dernières nouvelles du
bled ». Parce que ce n’est pas l’Algérie française des grandes villes qui nous est
racontée là, mais une Algérie française blédarde et picaresque.
On y retrouve les deux loustics qui avaient fait le succès de Paul et Kader
(Télémaque, 2009) dont j’avais dit, à l’époque, que c’était le Clochermerle ou La
Guerre des boutons qui manquaient à notre province, aujourd’hui évanouie, trop
souvent réduite à des récits guerriers ou à un exotisme de cartes postales. D’un seul
coup d’un seul, avec la verve d’un Daudet, d’un Pagnol, d’un Bosco, d’un Giono
(une pointe de harissa en plus : nous avions très jeunes le sang chaud et les curiosités
précoces là-bas…), Norbert se hissait à la hauteur des grands raconteurs de nos
petites patries charnelles.
Essai confirmé avec " En passant par L’Algérie " où l’on retrouve Paul et Kader, ces
deux louettes comme on disait, cousins méditerranéens de Tom Sawyer et
Huckleberry Finn. Loin des villes policées, comme je l’ai dit et, comme le précise
Norbert Multeau, dans un bled « rude et pauvre ». Avec cette précision : « C’est la
même “salade algérienne” où l’on pleure d’un œil et où l’on rit de l’autre. » (1).
Un petit village poussiéreux. Avec des personnages truculents et qui partagent –
Européens ou « indigènes » – les mêmes joies (souvent rares) et les mêmes malheurs
(et plus souvent qu’à leur tour). On n’est pas riche dans le bled, sinon de franches
rigolades, de coups de zouzguef et d’empoignades homériques. Et on partage le peu
qu’on a. Même les poux : « Comme tous les enfants du village en avaient, il était
difficile de dire qui les passait à qui. C’était une calamité naturelle comme les
sauterelles, les mouches, le soleil… »
Paul Cassagne et Kader Maamar n’ont pas dix-huit ans et ils sont amis à la vie à la
mort. Et si on sent, à deux à trois détails, le poids des « événements » qui pèse aux
alentours, ce n’est pas le sujet du livre qui est, répétons-le, loin des clichés éculés sur
l’Algérie coloniale. De la tendresse ? Il y en a à revendre. Dans la grande maison
mauresque (et close…) de Carmen. Chez Maria et Leila. Dans le cœur de Vivette.
Chez ces pieds-noirs qui ne veulent pas partir : « – Je n’ai personne en France – Et
ici ? – Ici, j’ai mes morts. »
Comme on le dit dans L’Inconsolé : « Je vais souvent là-bas voir si j’y suis. Et vous
savez quoi ? Eh bien, j’y suis. »
(1) D’une personne bisouche (c’est-à-dire qui louchait) nous disions : « Il a un œil
qui surveille à les merguez et l’autre à le chat. » [ Signé : Alain Sanders dans " Présent ", n° 7516 du 12 janvier 2012 ]
Ils nous ont quittés.
5/5 Lectures Françaises .
.----. Norbert Multeau, au mois de juillet 2019, âgé de 82 ans.
Il était né en Algérie et se forgea une solide réputation de critique cinématographique
parmi les plus compétents et surtout les plus indépendants, « ferraillant contre les
tendances délétères d'un certain cinéma porté au pinacle par Cannes, les oscars et les
critiques établis, sans se soucier de heurter la doxa et s'en prenant à quelques vaches
sacrées » (Gabriel Garnier, Présent, n° 9408, du 19-7-2019). Il exerça ses talents et se fit
apprécier par les lecteurs d'Aspects de la France, d'abord, puis du Spectacle du monde et de
Valeurs Actuelles.
35 de ses chroniques les plus marquantes écrites entre 1985 et 1998
ont été réunies dans un ouvrage, Les Caméras du diable, paru en 2001 (Ed. Dualpha).
Il était également doté d'une excellente plume d'écrivain et d'essayiste laissant pour la
postérité des ouvrages d'un grand intérêt, évoquant sa terre natale : En passant par
l'Algérie. Dernières nouvelles du bled (Éditions Atelier Fol'Fer, 2012), Paul et Kader
(Éditions Télémaque, 2009), L'Islam chez lui chez nous, avec une préface de Jean-Pierre
Péroncel-Hugoz (Éditions L'AEncre, 2012).
Ses obsèques ont été célébrées le 8 juillet en l'église de Parlan (Cantal). Nous
transmettons nos condoléances à son épouse (fille du colonel Gardes, un des plus
intransigeants défenseurs de l'Algérie française) et ses enfants. [ Lectures Françaises, n° 750, octobre 2019 ]