Le néolibéralisme, l'Europe et leurs méfaits
5/5 L'Action Française
Dans En finir avec l'Europe, les auteurs, universitaires dans diverses disciplines, se livrent à une critique construite, sévère et parfois même virulente de l'Europe néolibérale et de l'euro. La longue introduction de Cédric Durand débute de façon prometteuse : "Pour l'Europe en crise, écrit-il, tituber sur ses deux jambes, c'est accélérer un processus d'intégration sans légitimité démocratique et radicaliser l'agenda des réformes néolibérales. Autrement dit asphyxier la délibération démocratique pour mieux livrer les sociétés européennes au processus d'accumulation du capital." L'assertion qui suit déçoit cependant le lecteur : "Les nations ne sauraient être un refuge." Il fallait s'y attendre de la part d'auteurs se situant à "la gauche de la gauche".
L'introduction n'en reste pas moins intéressante en ce qu'elle rappelle le rôle des Etats-Unis aux origines de l'Union, loin de l'image d'Epinal et de la mythification des "pères fondateurs", et analyse la dynamique de sa construction et la création de l'euro comme "monnaie mondiale". Il est à noter que la dénonciation de la mise à distance des peuples dans le projet européen est un élément commun et récurrent à l'ensemble des auteurs. Le lecteur sera attentif à la courte mais dense contribution de Stathis Kouvelakis (sciences politiques) qui s'attache à l' "européisme" comme idéologie ; il montre avec concision la prédominance des thèses néolibérales depuis 1986 et la mise en oeuvre délétère des principes fondamentaux du "nationalisme du deutsch mark" (Habermas) qui a eu comme conséquence, entre autres, la polarisation entre les PIGS (Portugal, Irlande, Grèce, Espagne, soit la périphérie) et l'Allemagne (le centre).
L'analyse éclairante de Wolfgang Streeck (sociologie) sur la financiarisation des pays de la périphérie de l'Union et sur la tragédie grecque est judicieusement complétée par celle de Csostas Lapavitsas (économie), qui démontre le rôle de l'euro, de l'UEM (Union économique et monétaire) et de l'Allemagne dans ce processus mortifère. Enfin Cédric Durand et Razmig Keucheyan (économie et sociologie) considèrent à juste titre que "l'Union européenne est un régime politique autoritaire disposé à suspendre les procédures démocratiques en invoquant l'urgence économique et financière" ; ils développent leurs propos à partir des théories passionnantes de Gramsci sur le césarisme et les crises, mais sans malheureusement aborder la question du pouvoir.
La financiarisation de l'économie européenne, l'assujettissement du pouvoir politique au marché et la "crise des intellectuels organiques du projet européen ne sont pas sans nous rappeler le célèbre triptyque qu'Edouard Berth dénonçait dans Les Méfaits des intellectuels : les "marchands, intellectuels et politiciens". Les solutions proposées - la sortie "progressiste" de l'euro et "l'emploi public en dernier ressort" - manquent d'une réelle ambition politique (faute du nationalisme), et le lecteur jugera sur pièces. Mais ce livre est à lire pour ses analyses indispensables à tout critique averti du néolibéralisme et de son application européenne.
<p align="right">Joseph Salve L'Action Française 2000 n° 2907 - Du 16 Avril au 6 Mai 2015 <a href= http://www.actionfrancaise.net/af2000/ target=_blank>www.actionfrancaise.net/af2000</a>