Recherches entomologiques
3/5 L'Homme Nouveau N° 1764
.----. Appelées « nouvelles » sur la couverture puis « neuf histoires de fiction » en quatrième (à vrai dire j'en ai compté dix, mais il importe peu de savoir si une, et laquelle, ne le serait pas), l'ouvrage de Judith Cabaud aurait pu tout autant s'appeler : Recherches entomologiques sur l'âme humaine à notre époque, tant les études et la plume de l'auteur relèvent à la fois du microscope psychologique qui fouille les tréfonds des personnalités et du scalpel qui met à nu leurs blessures.
La première histoire représente près du tiers du livre. Elle raconte, le temps d'un voyage prolongé en avion entre l'Europe et les États-Unis, via l'Islande, la rencontre, le coup de foudre amoureux réciproque et ce qui suit, entre un vieil aristocrate brésilien déjanté et malheureux dans son couple et une Américaine en âge de quitter sa jeunesse et sur le point de se résigner à un mariage sans amour. La magie de l'amour semble effacer la différence d'âge dans ce temps suspendu que sont les airs et l'ailleurs d'une tempête de neige en Islande, et tout autant les liens sociaux qui ligotent dans leur toile comme l'araignée sa proie nos deux personnages - qu'on peut comparer, dans un autre contexte, aux deux héros de La Vie simple de Wiechert.
L'épreuve décisive d'une vie
La densité de sa culture littéraire et musicale et les qualités narratives de son écriture ne doivent pas masquer que l'auteur nous donne aussi, en quelque sorte, son discours de la méthode dans cette première nouvelle, qui va se déployer ensuite dans les autres histoires et les portraits : à travers une unité de temps et de lieu (enrichie par des flash-backs sur le passé ou l'avenir) est mis en lumière un moment décisif, qui est aussi l'épreuve décisive d'une vie, dans lequel se révèlent le fond d'une personne et peut-être la destinée à laquelle elle était appelée et qu'elle a manquée (sauf exception) - même si une lecture plus banale est toujours possible. Ainsi, dans cette première histoire, la rencontre d'un dandy qui refuse sa vieillesse et d'une demoiselle Bovary.
Nous voyons défiler dans la suite du livre des histoires d'autres vies, qu'il serait réducteur de résumer chacune en deux ou trois phrases. Le lecteur sera sans doute plus touché par l'une ou par l'autre -1'amour trahi par l'aimé ou par une soi-disant meilleure amie, une mise en scène moderne de la fable du savetier et du financier, des vies dévorée futilement par l'argent, sou par sou, etc. Tout ceci près de chez nous comme aux États-Unis.
Le tableau est souvent sombre, illustrant la condition de l'homme sans Dieu (quasiment absent, ou sinon généralement trouvé trop tard, sauf exceptions), et que cette condition est misère, pour parler comme Pascal. Quelques éclaircies de bonté - comme Anna envers son fils gravement handicapé - et de foi n'en prennent que plus de relief et laissent pressentir la «félicité de l'homme avec Dieu » donc parle aussi Pascal, et aussi que la mort n'est pas la fin de tout car un Lazare en notre temps peut le trouver, et intercéder pour d'autres par-delà sa mort.
( Didier Rance dans L'Homme Nouveau n° 1764 du 30 juillet 2022 )
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