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De l'importance de bien choisir les livres

De l'importance de bien choisir les livres

Bons et mauvais livres

Par Monseigneur Freppel

C’est la grandeur de l’homme de savoir faire un bon usage des dons du Créateur, comme c’est le signe de sa faiblesse, de pouvoir en abuser. Quoi de plus précieux que le don de la parole, ce don magnifique, et qui suffirait, à lui seul, pour assurer à l’homme la supériorité sur tout cet univers visible ? La parole ! Elle est l’expression de la pensée, le lien des intelligences, la condition première de l’enseignement et du commerce social, l’instrument et le véhicule de la vérité. Mais que devient la parole dans la bouche de celui qui s’en sert pour propager le mensonge ou le vice ? Elle trouble les esprits, agite les multitudes, soulève les passions, corrompt et tue les âmes. Tandis que la sagesse découle des lèvres du juste, labia justi erudiunt plurimos, la langue des méchants distille le poison, venenum aspidum sub labiis eorum. Et si rien n’est plus efficace que la parole de Dieu pour fortifier la vertu, vivus sermo Dei et efficax, l’Apôtre n’a-t-il pas soin de nous rappeler d’autre part, que “les mauvais discours corrompent les bonnes moeurs”, corrumpunt bonos mores collaquia prava ? C’est ce que disait déjà le Sage, quand il montrait dans la parole un instrument de vie ou de mort, mors et vita in manu linguae, suivant qu’on l’emploie pour le bien, ou qu’on la met au service du mal.

Et l’écriture, cet art merveilleux qui, à l’aide de quelques signes, enchaîne la parole et fixe la pensée, de quels secours n’est-elle pas pour conserver les vraies doctrines et les transmettre d’une génération à l’autre ? C’est par elle que les siècles se relient entre eux et que tout le passé du genre humain revit devant nous. C’est par elle que nous remontons jusqu’à l’origine des temps, pour recueillir d’âge en âge, avec les leçons de la sagesse humaine, les préceptes et les enseignements de Dieu. Mais que de fois ce puissant auxiliaire de la vérité et de la vertu n’est-il pas devenu un moyen de propagation pour l’erreur et pour le vice ? Et si, grâce à l’écriture, la sainteté et la vraie science se survivent dans des pages immortelles, le mauvais livre, lui aussi, ne restera-t-il pas ouvert sous les yeux des générations à venir comme une source empoisonnée, d’où le mensonge et la corruption découleront sans cesse pour égarer les intelligences et flétrir les coeurs ?

L’homme a donc ce pouvoir qui est à la fois sa force et son infirmité, de faire servir aux biens les dons du Créateur, ou de les détourner de leur vraie destination. Aussi, Nos Très Chers Frères, quand nous blâmons des abus ou que nous réprouvons des excès, ce n’est jamais à l’usage régulier et légitime des choses que s’appliquent nos plaintes et nos reproches. Est-il une découverte plus admirable et plus utile en soi, que celle de l’imprimerie, ce complément providentiel de la parole et de l’écriture ? Et ne semblait-il pas qu’en prêtant, pour ainsi dire, des ailes à la vérité, cet art nouveau dût en assurer le triomphe dans le monde entier ? Nul doute, et l’on ne saurait oublier que le livre de Dieu, la Bible, est sorti le premier de ces presses naissantes, comme pour les marquer du sceau de la consécration divine ? Mais il était facile de prévoir, selon la marche de toutes les choses humaines, que cette invention si favorable par elle-même aux progrès de la vérité, ne tarderait pas à devenir aux mains de l’erreur une arme puissante, et que les mauvais livres se multiplieraient avec les bons. Un siècle ne s’était pas écoulé depuis l’introduction de ce nouvel et redoutable élément dans la vie publique, que déjà le saint Concile de Trente s’alarmait de voir se répandre tant d’écrits pernicieux ;  et les solennels avertissements que l’auguste Assemblée faisait entendre aux pasteurs et aux fidèles, soit pour exciter le zèle des uns, soit pour détourner les autres des lectures dangereuses, montrent assez à quel point les ravages de la mauvaise presse préoccupaient dès lors les pouvoirs de l'Église. 

Est-il besoin d’ajouter, Nos Très Chers Frères, que depuis cette époque, le péril n’a fait que s'aggraver de jour en jour ? Aux moyens de diffusion dont l’erreur disposait précédemment, notre siècle a su en ajouter un nouveau plus rapide et plus étendu que tous les autres. Tant que l’on se bornait à lire des livres, la propagation du mal se renfermait dans un cercle assez restreint. Cette sphère d’action s’est élargie, depuis que l’on a imaginé à côté du livre, qui n’est lu que d’un petit nombre, la feuille légère, quotidienne, accessible à tous, résumant jour par jour les nouvelles du monde entier, et profitant de cet attrait de curiosité si naturel à l’homme, pour traiter toutes les questions possibles, à la hâte et comme par jeu, sans que rien échappe aux hasards d’une discussion qui touche à tout, depuis les plus hautes vérités de la religion jusqu’aux moindre détails de l’économie domestique ou sociale. En pénétrant ainsi dans les habitudes de la vie, où il a su se faire une si grande place, le journal, puisqu’il faut l'appeler par son nom, est devenu une force considérable pour le mal comme le bien ; et l’on ne court nul risque exagérer en disant qu’il n’est pas de levier plus puissant que la presse pour soulever les multitudes et mettre en mouvement leurs intérêts et leurs passions.

Mais laissons aux législateurs et aux hommes d’Etat le soin de concilier l’avènement de ce pouvoir nouveau avec la stabilité de l’ordre civil. Pour nous, ce qui nous préoccupe, et ce que nous sommes en droit d’apprécier, c’est le rôle et l’attitude de la presse vis-à-vis de la religion. Certes, nous ne saurions avoir trop d’éloges pour les écrivains courageux qui se tiennent constamment sur la brèche pour défendre nos saintes croyances contre les attaques de l’hérésie et de l’incrédulité : ils remplissent, dans la presse, un véritable apostolat : et c’est faire acte de dévouement à la religion, que de soutenir et de répandre les feuilles où ils servent les intérêts de la foi avec autant de zèle que de talent. Ils méritent aussi notre reconnaissance, ceux qui, tout en estimant que les controverses religieuses seraient mieux à leur place dans les livres, n’en professent pas moins un respect sincère pour les droits de l’Eglise, et qui, dans la défense des grands principes de l’ordre social, déploient une activité et une vigueur dignes d’une telle cause. Si la fonction de la presse était ainsi comprise de tous, nous ne songerions aucunement à nous émouvoir d’une institution dont les avantages balanceraient sans peine les inconvénients.

Mais tel n’est pas, Nos Très Chers Frères, le caractère ni le but de cette partie de la presse contre laquelle nous cherchons à nous prémunir. Ce qu’elle poursuit, ce qu’elle s’efforce d’atteindre, c’est la destruction de l’Eglise catholique, de sa doctrine et de ses institutions ; elle n’a pas d’autre raison d’être. Assurément l’oeuvre de Jésus-Christ est au-dessus de pareilles attaques : ni le mensonge, ni la corruption ne sauraient prévaloir contre elle : mais, ce qui n’est pas indestructible, c’est la foi des particuliers, qui peut recevoir de mortelles atteintes par suite des erreurs disséminées chaque jour dans un public composé en général d’hommes peu instruits, et par là même incapables de résister indéfiniment à l’assaut perpétuel qu’on livre à leurs croyances et à leurs moeurs 

Texte extrait d’une Lettre Pastorale sur la presse irréligieuse, publiée le 8 février 1874. 

Vous pouvez retrouver le texte dans le Numéro 9 des Cahiers de Chiré, Bons et mauvais livres.