Que le plus anglophile de nos généraux en juin quarante soit devenu le plus anglophobe en 1944, on le savait. Comment la chose s'est produite, l'ouverture des archives britanniques de la guerre, nous permet de le ressaisir. Leur lecture contredit l'image d'un de Gaulle jouissant d'une splendide indépendance pendant ces années où "le Maréchal se vautre dans la servitude". A Londres, il est étroitement encadré, contrôlé, surveillé. Le Comité Morton où ne siègent que des Britanniques définit les activités du "Mouvement de Gaulle". Edward Spears dirige la Mission anglaise qui le suit au jour le jour. Tous deux viennent des Services. Les transmissions des Français libres passent par eux, Spears communiquant à Morton ce qui se dit et s'écrit à Carlton Gardens. Le courrier est remis ouvert, il est lu au départ et à l'arrivée, les télégrammes sont traduits pour transmission. Tout est déchiffré, analysé et archivé. Ainsi peut-on suivre au jour le jour la vie du général de Gaulle depuis son envol de Bordeaux jusqu'à l'assassinat de l'Amiral Darlan en passant par Mers-El-Kebir, Dakar, Djibouti et les Etats du Levant dont Spears devient le traitant après avoir été celui du Général. Quand celui-ci a rendez-vous avec Churchill ou avec Eden, ceux-ci savent ce qui l'amène et que lui répondre. Chacun de ses mouvements est anticipé et suivi. Où qu'il soit, où qu'il se projette, en Afrique, à Saint-Pierre et Miquelon, à Madagascar ou au Moyen Orient le réseau l'enserre. Une telle émigration vaut une occupation. Elle ne s'oublie pas. De Gaulle aura dix ans pour la faire payer. Et la faire fructifier : c'est à Londres que le Général fait ses classes de gouvernant. Il a retenu la plupart des recettes churchilliennes.
Docteur ès lettres, professeur de littérature, docteur de l'université de Californie à Santa Barbara, Philippe Alméras est l'un des meilleurs spécialistes de Céline, sur lequel il travaille et publie depuis plus de vingt-cinq ans. Parmi ses derniers livres, citons Un Français nommé Pétain (Laffont), Retours sur le Siècle (Les cahiers de Jalle) et "Je suis le bouc", Céline et l'antisémitisme (Denoël).