Une démarche de piété filiale
5/5 L'algérianiste
.----. Que voilà un titre qui intrigue ! Et peu banal, mais Alain Sanders n'est pas homme à
nous laisser mijoter longtemps dans nos questionnements. Il nous éclaire dès son soustitre : « De quelques paternels escamotés par la gloire de leurs rejetons... ». Et pour qui aurait
encore des doutes, le reste de la couverture nous saute aux yeux, y compris la mention,
en fins caractères, de la collection dans laquelle se place l'ouvrage : « Impertinences ». On
l'aura compris : on ne va pas nous jouer « Le Père humilié ». Et pourtant, la 4e de
couverture ne fait pas mystère du fil rouge de son livre : de nos jours, trop de « Fils de...
» et « Filles de... » bouffis de haine autant que de médiocrité, se vautrent dans une vaine
gloire médiatique – passagère –, en déversant des vomissures sur leurs pères. C'est pour
réparer cette ignominie, de même, faute moindre, quelques oublis non intentionnels,
que ce livre est né, en une démarche de piété filiale.
Trente portraits nous sont ainsi
tracés, et je gage qu'ils nous feront découvrir pas mal de choses, cachant son érudition
sous une série de biographies alertes qui en font aussi un livre d'agrément, chose rare, on
en conviendra, en notre triste temps. Mais, j'entends sourdre une petite objection : «
Oui, mais dans tout cela, quel est le rapport avec l'Algérie ? » La réponse est aisée, parce que
ce n'est pas moi qui la donne, mais nos « Pères » (et revoilà les pères !). Fondateurs des
origines, ceux de 1920, qui créèrent non seulement le vocable mais aussi la notion
d'algérianisme. Qui pourrait prétendre être plus « Algériens » au sens de Français
d'Algérie, que ces âmes du fleuron de l'Empire français d'alors ? Qui pourrait nier ou
seulement affadir la finalité donnée à leur groupe, qui était d'ancrer leur pensée et leurs
œuvres dans la marque de leur algérianité mais tournée vers une littérature universelle ?
Il n'est qu'à feuilleter les numéros de leur revue Afrique, ancêtre direct de la nôtre, pour
en avoir la preuve éclatante.
Cette véritable « Ode au Père » émane de l'un des nôtres :
Alain Sanders est notre « voisin de l'Ouest » puisque né et ayant passé sa prime jeunesse
au Maroc, à Salé, qu'il a toujours au cœur. Et pour faire bonne mesure, adolescent, il
connut Alger en pleine tourmente, à raison même de la fonction de son père (oui, encore
le père...) qui y fut officier de police. Et c'est peu de dire qu'il combat toujours pour que
justice soit rendue à l'Algérie française.
Mais, dans cette évocation de pères restés plus ou moins dans l'ombre, et en tout cas, non célébrés en tant que tels dans des ouvrages, on
trouvera bien sûr le père d'Albert Camus, et au sommet, celui de Jean-Paul Belmondo,
l'illustre sculpteur Paul Belmondo qui fut, rappelons-le aux algérianistes d'aujourd'hui,
président d'honneur de notre Cercle. Et on aura droit aussi à quelques « surprises », par
exemple du côté d'Arthur Rimbaud.
Bref, à tout le moins, ce livre nous procure, comme
on dit dans nos congrès nationaux, une « respiration ». Et une ode à notre culture
classique face à sa déconstruction, ce qui est une belle forme de résistance. [ Signé : Pierre Dimech dans L'algérianiste, n° 172, décembre 2020 ]
29 noms ...
4/5 Présent .
.----. Les sujets originaux n’ont jamais fait peur à Alain Sanders. Dans la famille… je
demande… rentre assurément dans cette catégorie. La raison de ce livre ? Un désir de
justice explicité par son sous-titre : « De quelques paternels escamotés par la gloire de
leurs rejetons… ».
Sur cette base, Sanders a sélectionné 29 noms. Des textes courts, de trois ou quatre pages, mais toujours précis – ce n’est pas pour rien qu’il a enseigné les
belles-lettres à des étudiants sur au moins deux continents –, consacrés à des « pères de »
qui courent du XIVe siècle avec Robert du Guesclin, le père du fameux connétable, au
XXe siècle avec, entre autres, Paul Belmondo, le père du fameux comédien. Ce qui nous
permet, par la même occasion, de connaître les figures historiques et littéraires pour
lesquelles l’auteur de Rimbaud est aux Afriques et de Roger Nimier – Hussard bleu et talon
rouge possède une affection particulière. Parmi ces figures, un constat s’impose : les
parents d’écrivains prédominent. Pour n’en citer que quelques-uns, relevons, outre
Frédéric Rimbaud et Paul Nimier bien évidemment, les noms de : Charles de
La Fontaine, « le bourgeois gentilhomme » ; François Baudelaire, « le défroqué » ;
Téophile Barbey d’Aurevilly, « le Normand fidèle » ; Achille Cléophas Flaubert, « le
mandarin » ; Jules-Joseph Colette, « le vétéran » ; Emmanuel Drieu la Rochelle, « le père
absent », etc.
Avantage de cet éclectisme, chacun aura sa manière d’aborder Dans la famille… je demande… – et il n’est pas sûr que la majorité des lecteurs choisisse l’approche
chronologique ! Une curiosité bien placée ne peut que pousser à consulter en priorité les
noms des parents des auteurs qui sont chers à chacun d’entre nous.
Le livre d’Alain Sanders refermé, une impression domine : assez souvent quand même –
nous ne donnerons que quelques exemples –, les écrivains devenus célèbres, et dont les
noms ornent les manuels d’histoire littéraire, descendent d’une parentèle et d’un
environnement où les arts et lettres s’enracinent d’une façon ou d’une autre. Ainsi du
grand polémiste Henri Rochefort (1831-1913) – que François Brigneau tenait pour un
maître – dont le père, Claude Louis Marie de Rochefort-Luçay (1790-1871) fut « l’une
des gloires de la vie parisienne qu’il aura nourrie de ses talents d’écrivain, de dramaturge,
de vaudevilliste, d’auteur de chansons (parfois grivoises) ». Avoir triomphé sur scène
en 1820 avec Le Diable d’argent ne l’empêchera pas de mourir seul et dans la misère la
plus noire.
Le père de George Sand, Maurice Dupin de Francueil ? Alain Sanders nous
apprend que ce futur officier excelle en tout : « Il joue du violon comme un maestro, il
dessine, il peint, il joue la comédie, il écrit, il compose. » De son côté, Barbey d’Aurevilly
bénéficia du savoir-faire de sa grand-mère, douée pour raconter les exploits des chouans
et ancrer dans l’esprit de son petit-fils les légendes qui courent sur la lande normande.
Quant au père de Colette, alias « Le Capitaine », à la fois baroudeur et imaginatif, il se
rêvait écrivain, mais le don lui manquait ; sa fille fut en quelque sorte sa revanche. Petite
incursion dans les Indes britanniques : comment ne pas signaler que John Lockwood
Kipling, dessinateur de grand talent, a illustré de nombreux ouvrages de son fils
Rudyard ?
Retour en France avec Eugène Morand (1853-1930) dont plusieurs pièces
occupèrent, à la fin du XIXe siècle, la scène parisienne avec succès. Une oeuvre, nous dit
Sanders, qu’on peut lire sans déplaisir et qui rappelle que « ce grand artiste plein de
tolérance et d’indulgence » était aussi animé d’une riche tendresse paternelle, voulant
avant tout faire de son fils, selon ses propres termes, « un homme heureux ». Un bien
beau programme, loin d’avoir été toujours suivi par les autres « pères de ». [ Présent du 16 octobre 2020 ]