"... Diderot, en philosophie, n'est personne. (...) Il a de la passion philosophique, mais il n'a point de philosophie. Il a des tendances, des élans, des fougues philosophiques qui le précipitent dans le matérialisme général d'un temps assoiffé de cette fange, et il court boire à cet abreuvoir, comme une bête altérée. Tête de feu plus que de lumière, il avait, jointes à ses passions, les passions d'une époque enflammée de haine contre toute spiritualité, et, de tout cela, mêlé, confus et bouillonnant dans la cuve fumante de son cerveau, il ne devait guère sortir cette chose équilibrée, combinée, organisée, calme et redoutable qu'on nomme un philosophie. Je sais bien qu'il cria, à tue-tête, qu'il en avait une, et que parfois il le fit croire, car il était éloquent, mais le lucidus ordo manquait à cette tête enivrée. Cet homme, qui était suprêmement un artiste par l'enthousiasme et par l'expression, eut toujours la rage d'être philosophe. (...) Il mettait sa puissance artistique à cette belle oeuvre d'être philosophe. Il s'y obstina, il s'y acharna, il s'y exaspéra, il s'y échevela, il s'y ensangmêla (...) - et il y ruina un esprit superbe."
Jules Barbey d'Aurevilly