"Grâce donc aux voyageurs et aux journalistes, qui, comme chacun sait, ne racontent que ce qu'ils ont vu et ne parlent que de ce qu'ils connaissent, nous pouvons avoir sur tous les points du globe des renseignements précis. Un seul pays est excepté de cette attention, de cette étude, de cette bienveillance générale : c'est tout simplement cette contrée sauvage et inconnue qui s'étend de Quimper à Fréjus et de Bayonne à Thionville ; ce sont ces grandes steppes intellectuelles, sociales, politiques, financières et artistiques qu'on nomme la province. Il y a là trente-un millions et quelque cent mille êtres vivants que les géographes appellent âmes par politesse, et qui peuvent penser, parler et agir, sans qu'on s'informe jamais ni de leurs idées, ni de leurs actions, ni de leurs paroles.
Si on leur donne des préfets, des magistrats, des gendarmes, c'est uniquement pour la forme, et pour qu'ils s'imaginent être administrés ; dans le fait, ils n'ont et ne peuvent avoir qu'un fonctionnaire
sérieux, le percepteur ; car, tout en s'occupant très peu de ce qu'ils veulent, de ce qu'ils disent ou de ce qu'ils font, on s'occupe très fort de ce qu'ils paient. Sous ce rapport même leur importance
s'accroît à mesure que leurs charges augmentent, et plus le gouvernement auquel ils ont affaire est intéressé, plus ils deviennent intéressants. Je me trompe pourtant, et la province a un autre moyen de faire parler d'elle. Si personne n'y songe, tant qu'elle reste ce qu'elle doit être, une bonne et sage personne, une société de simples
honnêtes gens, qui sont quelquefois des honnêtes gens fort simples, elle attire tous les regards dès qu'elle a l'honneur de produire un grand criminel."
Les Contes et rêveries d'un planteur de choux comprennent le roman Napoléon Potard, la nouvelle épistolaire Marguerite Vidal, les nouvelles Les Trois Veuves ainsi que Le Bouquet de marguerites, puis - pour finir - les articles formant les Silhouettes d'artistes en province : autant de remarquables exercices littéraires d'Armand de Pontmartin (1811-1890), critique légitimiste.