Un livre très intime et bouleversant
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.----. Dans un livre très intime et bouleversant, la journaliste raconte sa conversion au catholicisme à l’âge de 20 ans. À contre-courant ?
Avons-nous perdu le sens du sacré ? C'est l'antienne actuellement répétée – avec succès – par des essayistes de choc aujourd'hui classés à droite, voire à l'extrême droite, Sonia Mabrouk, Jean-Marie Rouart, Philippe de Villiers, Patrick Buisson. Déplorant l'affaissement de notre société, voire de notre civilisation, par l'effacement des héritages et des signes chrétiens, leurs écrits caracolent dans les listes de best-sellers, agitent le débat d'idées, suscitent l'opprobre des plus terre à terre qui bornent ces saillies politiques à des exaltations spirituelles et des manifestations identitaires.
Aux nostalgiques des temps anciens de la domination catholique comme à leurs contempteurs sceptiques, voire franchement antagonistes, on ne peut que recommander d'empoigner le livre d'Alexia Vidot Comme des cœurs brûlants (Artège). Vous croyez que le christianisme serait un exercice suranné, embaumant l'encaustique et l'encens, se pratiquant dans des églises-refuges hors le monde ? Que cette religion bimillénaire, qui a façonné la France mais subit depuis plusieurs décennies un déclin vertigineux, se cantonnerait désormais à des visées de restauration d'un ordre ancien, apanage de militants d'un repli passé ante-Vatican II ? Ou, a contrario, que la foi serait une affaire d'esprits tièdes qui se tiennent en retrait de la vraie vie ? Voici un témoignage ardent, bouleversant, et qui constitue un formidable antidote à nos désespérances postmodernes.
Alexia Vidot a une trentaine d'années. Journaliste à l'hebdomadaire chrétien La Vie, elle est engagée au milieu de son époque, et elle écrit avec feu, portée par l'élan d'une foi sincère qui lui est tombée dessus sans crier gare. Dans cet ouvrage, elle dresse le portrait de grands convertis au christianisme, de toutes les époques, mais surtout elle témoigne sans fard de sa propre rencontre. À l'époque de l'exhibition sur Instagram et de la mise sur la place publique de secrets intimes sordides, quel joli contrepoint !
« À 20 ans, écrit Alexia Vidot, j'étais le parfait enfant de mon siècle, pur produit de l'esprit mondain, de la modernité. J'étais donc extrêmement jalouse de ce que je pensais être ma liberté, jusqu'à me rebeller à la moindre atteinte, voire menace. Je me voulais autonome, indépendante, libérée de tout déterminisme et de tout lien, y compris celui de la nature, seul maître et seigneur à bord de mon existence. Et je pensais que mon bien-être résidait uniquement dans l'affirmation et l'épanouissement de mon petit moi émancipé – un moi absolu, qui ne dépendrait de rien ni de personne. »
Les malheureux n’ont pas besoin d’autre chose en ce monde que d’hommes capables de faire attention à eux.
À la faveur de vacances, en suivant deux amies, sur la pointe des pieds, la jeune femme se retrouve accueillie chez des religieuses dans la montagne. La rebelle n'est même pas baptisée… « Le diable se cache dans les détails, dit-on, se souvient-elle. La charité plus encore ! En entrant dans ma petite chambre boisée, j'ai trouvé la table dressée, avec une belle nappe blanche et de la vaisselle en grès. Quelques fins sablés faits maison et une tisane chaude. Des branches de sapin en guise de décoration. Rien d'extraordinaire. Mais de la beauté à l'état brut qui, en silence, me parlait et me disait de la part de la communauté : "Alexia, nous t'attendions. Te voici enfin ! Tu es ici chez toi. Repose-toi." » Lui viennent en tête les mots de Simone Weil : « Les malheureux n'ont pas besoin d'autre chose en ce monde que d'hommes capables de faire attention à eux. »
Ce petit « miracle » du quotidien dont parle la philosophe s'incarne en l'occurrence dans les sourires silencieux et bienveillants des sœurs qui viennent à la rencontre d'Alexia, cette « étudiante quelconque qu'elles ne reverraient sans doute pas » (sic). « Je ne faisais pas partie de leur "club" et n'envisageais absolument pas de le rejoindre – je ne m'en étais pas cachée, j'avais joué franc jeu : je venais en vacances, rien de plus, témoigne la jeune femme. Nous n'avions pour ainsi dire rien en commun – sang, âge, origine sociale, croyances, etc. Et, malgré tout, elles m'ouvraient les portes de leur vie, m'accueillaient chez elles avec une bonté sans pareille. Elles me prenaient comme j'étais, là où j'en étais, sans vouloir me changer – si j'avais repéré en elles la plus petite intention de me convertir, le moindre signe de prosélytisme, pour sûr, j'aurais pris mes jambes à mon cou. Rien de tel. »
Toujours plus
En nos temps suspicieux, réfractaires, radicaux, il faut se laisser toucher par cette candeur à contre-courant. « Enfant, j'étais sauvage, confie Alexia Vidot. Je préférais passer les récréations adossée à la grille de l'école, seule avec mes pensées, plutôt que de me mêler aux gamins de mon âge. Je me rebellais contre ce que je considérais être une obligation sociale : faire de ses camarades de classe des amis. Amitié de circonstance, d'intérêts communs. Amitié forcée par le destin. Je voulais plus. Ce "plus", je l'ai trouvé au monastère : là, pour la première fois de ma vie, j'ai goûté à l'amour gratuit et désintéressé. »
La jeune femme fuyait « le tumulte incessant » de Paris, elle ressentait « un besoin conscient, vital, de silence ». Aspiration on ne peut plus classique. La suite l'est moins… « Le silence extérieur a peu à peu favorisé un silence plus intérieur, note-t-elle. Le calme serein dans lequel je baignais se diffusait, descendait en moi, m'infusait et m'imprégnait doucement, lentement, jusqu'à apaiser le flot tourmenté de mes pensées et de mes sentiments. Et c'est alors que j'ai commencé à entendre, à l'intime de moi-même, cette "voix d'un fin silence" qui ébranla naguère le prophète Élie. »
La jeune journaliste convertie au catholicisme se retrouve aujourd'hui dans la fougue d'un Léon Bloy « lorsqu'il fustige l'affadissement de l'Évangile, qui est une trahison » : « Pour subsister, le christianisme se fit agréable, huileux et tiède, écrivait-il. Silencieusement, il se coula par le trou des serrures, s'infiltra dans les boiseries, obtint d'être utilisé comme essence onctueuse pour donner du jeu aux institutions et devint ainsi un condiment subalterne, que tout cuisinier politique put employer ou rejeter à sa convenance. »
Mais la voix qui lui parle est aussi celle de Paul Claudel qui, souligne Alexia Vidot, résista quatre ans durant à l'appel de Dieu. « Au sortir de Notre-Dame, mes convictions philosophiques étaient entières, écrit le poète. Dieu les avait laissées dédaigneusement où elles étaient, je ne voyais rien à y changer, la religion catholique me paraissait toujours le même trésor d'anecdotes absurdes, ses prêtres et les fidèles m'inspiraient la même aversion qui allait jusqu'à la haine et jusqu'au dégoût. L'édifice de mes opinions et de mes connaissances restait debout et je n'y voyais aucun défaut. Il était seulement arrivé que j'en étais sorti. […] Ce qui était le plus répugnant à mes opinions et à mes goûts, c'est cela pourtant qui était vrai, c'est cela dont il fallait, bon gré, mal gré, que je m'accommodasse ! »
Eh oui, même au cœur du technoïde et déchristianisé XXIe siècle, ces accommodements restent une question moderne. Oui, moderne. [ De Jérôme Cordelier sur le site du Point , publié par Belgicatho le 23/05/2021 ]