Fusillé par les Allemands...
5/5 Rivarol.
.----. Didier Lecerf est historien et militant, depuis sa jeunesse, de la cause identitaire. On lui doit déjà un Cahier d’Histoire du nationalisme, paru aux éditions Synthèse nationale, consacré au Parti des forces nouvelles (PFN), dont il fut un militant actif. Il nous offre aujourd’hui une remarquable biographie du capitaine de frégate Honoré d’Estienne d’Orves, qui fut fusillé par les Allemands le 29 août 1941. Le sous-titre du livre est Des monarchistes dans la Résistance.. Didier Lecerf décrit fort bien la complexité de cette époque quand il cite François de Grossouvre, ancien conseiller de François Mitterrand, qui écrivait : « Avec le même patriotisme et la même bonne foi, on pouvait se trouver entraîné dans un camp ou dans l’autre. J’avais deux amis, officiers de marine en 1940. L’un a rejoint l’amiral Muselier et les Forces navales françaises libres, l’autre a suivi Darlan. Pourquoi ? Ils étaient aussi patriotes l’un que l’autre ».
La jeunesse de d’Estienne d’Orves
Honoré d’Estienne d’Orves est, selon l’auteur, « un homme de la droite catholique, monarchistes et sociale, fidèle à Dieu, à l’Eglise, à sa patrie, à sa famille. » Il naît le 5 juin 1901 à Verrières-le-Buisson (91). Son père est le comte d’Estienne d’Orves, sa mère est Caroline Elizabeth de Vilmorin. Les d’Estienne sont une vieille famille de marchands et de magistrats d’Aix-en-Provence tandis que les Vilmorin sont une dynastie de scientifiques qui jouent un rôle de pionniers dans l’amélioration des plantes, en particulier des blés. Un lointain ancêtre des Vilmorin n’est autre que... le jeune frère de Jeanne d’Arc, Pierre, ce qui vaudra aux dames Vilmorin d’être invitées au Vatican, aux cérémonies de canonisation de la sainte. Autre célébrité dans la famille Vilmorin : l’écrivain Louise de Vilmorin, la cousine d’Honoré d’Estienne d’Orves, qui fut la fiancée d’Antoine de Saint-Exupéry puis, bien plus tard, la compagne d’André Malraux. Honoré d’Estienne d’Orves est donc un enfant de l’aristocratie d’affaires, très aisée, qui domine la Belle Epoque et que Balzac a décrite dans ses romans. Son enfance et son adolescence se partagent entre hôtels particuliers, appartements spacieux, châteaux, villas ou palaces, entouré de nombreux domestiques. Il fait sa communion solennelle en 1911. Son parrain est un ami de la famille, gendre du général Boulanger, le célèbre commandant Emile Driant, futur héros de Verdun, député chrétien-social et auteur à succès de romans d’anticipation politico-militaires. Il faut absolument lire L’Invasion noire, qui bien avant Jean Raspail prédit l’invasion de l’Europe par des hordes africaines. Lecerf consacre plusieurs pages passionnantes à Driant que l’on peut considérer sans exagérer comme l’égal de Jules Verne. Autre personnalité d’exception dans l’environnement d’Estienne d’Orves : son cousin Georges de Robillard Cosnac, pionnier de l’aviation qui trouvera la mort à l’âge de 28 ans, le 4 mai 1912, aux commandes de son monoplan.
L’instruction d’Estienne d’Orves sera assurée à la fois par un abbé précepteur et par un établissement parisien de renom, Saint-Louis de Gonzague où il passera « sans peine », dit-il, le baccalauréat. Modeste, il note : « C’était en temps de guerre plus facile qu’avant 1914 ». Dans un de ses notules qui font le grand intérêt du livre, Lecerf nous livre quelques chiffres concernant le bac, qui laissent rêveur. En juillet 1917, il n’y a en France que 14 204 candidats sur un total de 700 000 jeunes de 16 ans. Seuls 58 % obtiennent le diplôme, essentiellement des garçons. Les filles ne sont que 734, soit 1,17 % de la classe d’âge ! Autres temps, autres mœurs... D’Estienne d’Orves va intégrer l’Ecole Polytechnique et choisira La Navale. Pendant 10 ans, de 1923 à 1933, il voyagera beaucoup et se trouvera pour l’essentiel loin de la France.
C’est d’abord un milieu « très chrétien » qui s’est senti agressé par la politique anticléricale du pouvoir républicain avant 1914. Fidèle à l’Eglise et au pape, il ne tombe cependant pas « dans un ultramontanisme en contradiction, dit Jean-François Chiappe, avec l’indépendance, un rien gallicane, dont la monarchie et ses plus fermes soutiens ont toujours fait preuve ». Ce milieu, justement parce qu’il est « très chrétien », a aussi un sens aigu du social, et de ce fait est lié aux hommes et aux initiatives du catholicisme social, ce catholicisme social que Didier Lecerf décrit en des pages passionnantes. Henry de Villemorin, le grand- père d’Honoré, s’occupe ainsi activement, avec Albert de Mun, des « Cercles catholiques d’ouvriers », tandis que les parents d’Estienne d’Orves sont membres de la confrérie de la Miséricorde des Pénitents noirs de Nice, sa mère participant assidûment à « l’œuvre de midi », créée pour les “midinettes”, ces jeunes femmes, modistes et couturières, travaillant au début du XXe siècle, dans les maisons de mode et de haute-couture des beaux quartiers parisien qu’il convenait de protéger des tentations que la morale réprouve.
Le milieu social d’Estienne d’Orves est aussi très royaliste, plutôt légitimiste et, en tout cas, très patriote. Sa grand-mère maternelle, petite-fille de deux généraux vendéens, est ainsi « restée fidèle à la famille de Louis XVI » et refuse « le ralliement aux Orléans ». Les couleurs de la famille ne sont pas celles de la Révolution, sauf si elles s’ornent « du Sacré-Cœur », mais celles de Jeanne d’Arc ou du pape. D’Estienne d’Orves écrira, dans le journal qu’il rédige en prison à destination de ses enfants : « Chez nous, le drapeau tricolore n’était pas admis lorsque nous jouions aux soldats. »
Mais son milieu finit par se rallier à la République, au nom de la pseudo-nécessité d’unir tous les Français face aux périls qui menacent, à l’image de Péguy et d’Albert de Mun, qui s’y rallient en 1892, après la publication par Léon XIII de l’encyclique Au milieu des sollicitudes. Péguy avait écrit : « Celui qui défend la France est toujours celui qui défend le royaume de France. Et celui qui rend une place ne sera jamais qu’un salaud, quand bien même il serait marguillier de sa paroisse ».
LE CATHOLICISME SOCIAL
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Le mérite du livre de Didier Lecerf est que l’ouvrage est bien plus qu’une biographie. Il décrit ainsi, dans des notules passionnantes, les origines du catholicisme social, la création des Equipes sociales de Robert Garric, celle de la Ligue patriotique des Françaises, dont Elizabeth, mère d’Honoré, fit partie. L’auteur évoque Albert de Mun, René de La Tour du Pin et Paul Vrignault, initiateurs des cercles catholiques d’ouvriers, qui œuvraient à « faire la guerre à la Révolution ; réconcilier les classes dirigeantes et la classe ouvrière ; établir la paix et l’harmonie sociale ». L’auteur aborde bien sûr l’Affaire Dreyfus et cite le journal d’Estienne d’Orves : « Ce qui a faussé le dreyfusisme, c’est la réaction qui a suivi sa victoire, réaction menée par des gens qui voulaient non pas la justice, mais la destruction de l’idée catholique ».
Au moment où Honoré d’Estienne d’Orves intègre la Royale, en octobre 1923, celle-ci est au début d’un vaste plan de rénovation et de modernisation, qui sera poursuivi avec constance durant près de quinze ans par tous les gouvernements. La flotte de 1939, qui occupe le 4e rang mondial, sera l’une des plus belles de notre histoire, mais aussi, hélas, l’une des plus vaines puisque l’essentiel de ses bâtiments seront, soit coulés à Mers-el-Kébir par les Anglais, le 3 juillet 1940, soit sabordés à Toulon par leurs équipages, le 27 novembre 1942. Les Allemands entrent dans Paris le 14 juin. Joseph Meister, premier homme vacciné contre la rage par Louis Pasteur, désespéré, se suicidera le 24 juin. Que faire ? Pour Estienne d’Orves, il n’existe qu’une voie à suivre : il se doit d’agir conformément à « la tradition de fidélité de sa famille pour la France et la France seule ». Il va entrer en dissidence, non « sans un profond déchirement » et continuer la lutte. Une fois en Angleterre, le capitaine de corvette se voit confier, non pas le commandement d’un navire, mais la direction du 2ème bureau de l’état-major des Forces navales françaises libres. D’Estienne d’Orves, qui s’ennuie quelque peu dans une fonction trop administrative, obtient de De Gaulle l’autorisation d’aller sur le terrain, malgré son inexpérience du renseignement et de la clandestinité. Son objectif : jeter les bases d’un réseau d’espionnage baptisé Nemrod. Arrivé en France, Châteauvieux (c’est son pseudo) s’active. Mais les services de l’Abwehr sont sur sa piste. Le réseau tombera très vite, au bout d’un mois : la faute à un “traître”, Alfred Gaessler, le “radio” du groupe, un Alsacien dont on ne connaîtra jamais les motivations, qui disparaîtra en février 1945, ne laissant aucune trace. D’Estienne d’Orves est arrêté le 22 janvier 1941.
Les membres du réseau seront jugés pour espionnage, à partir du 13 mai, par la cour martiale du Gross Paris. D’Estienne d’Orves, « admirable de dévouement et de sacrifice », dixit son avocat allemand, se désigne comme le seul responsable, acceptant par avance la mort, « aléa du métier d’officier ». Une scène incroyable a lieu au moment où le verdict tombe. Le président allemend de la cour martiale se lève et va serrer la main des condamnés. Sur les vingt accusés ayant comparu, neuf sont condamnés à mort. Les soutiens d’Estienne d’Orves, dont son avocat allemand, mais aussi le gouvernement de Vichy par la voix de Fernand de Brinon et aussi l’amiral Darlan, vont s’activer pour obtenir sa grâce. L’espoir est réel. Hélas, le 22 juin 1941, les forces de l’Axe entrent en URSS. Quel rapport avec le destin d’Honoré d’Estienne d’Orves ?
Le pacte germano-soviétique va voler en éclat et le Parti communiste français, qui collaborait jusque-là allègrement avec les Allemands à la demande de Moscou, dans un esprit « défaitiste révolutionnaire », va entrer en résistance et appeler au sabotage et à la lutte armée. Didier Lecerf consacre des pages passionnantes au Parti communiste français en 1939-1940, un parti « pas très résistant », une « secte de masse », qui tenta, comme on le sait, d’obtenir la reparution de l’Humanité Aux premiers attentats, les Allemands répondent par la politique des otages et de dures représailles. Le 21 août, à Paris, le futur « colonel Fabien » abat l’aspirant Moser, dans le métro, sur le quai de la station Barbès-Rochechouart. Fâcheuse conjonction de dates, le 24 août, Keyser, le président de la cour martiale qui a condamné à mort Estienne d’Orves, est à Berlin pour demander la clémence. Mais Adolf Hitler, par une lettre signée de sa main, confirme, suite à l’assassinat de l’officier allemand, la condamnation à mort pour trois membres du réseau, dont le chef, qui étaient venus directement d’Angleterre. Le 29 août, au petit matin, l’abbé Stock célèbre la messe dans leur cellule. Les condamnés communient puis prennent leur petit déjeuner avec le prêtre. C’est la fin.
RÉSISTANTS ET MARÉCHALISTES ?
Lecerf note, en conclusion de son livre, qu’à l’image de d’Estienne d’Orves, en 1940, les résistants sont souvent issus de la « droite de la droite ». Il cite François de Grossouvre : « C’est la gauche qui a exploité la Résistance, mais ce sont les gens de droite qui l’ont créée ». Il évoque la kyrielle de monarchistes qui entrèrent en résistance : Pierre de Bénouville, Michel de Camaret (futur député européen du FN), le colonel Rémy, Jacques Renouvin, l’écrivain Jacques Perret, François de Grossouvre, sans oublier les anciens du Faisceau de Georges Valois, de la Cagoule et des membres des Croix de Feu et du PSF de La Rocque. Beaucoup firent, du moins au début, preuve de respect et de bienveillance à l’égard du maréchal Pétain. Ce fut le cas d’Estienne d’Orves qui l’évoque six fois dans ses lettres de prison, même s’il exprima une franche hostilité face à certaines décisions du gouvernement, notamment le Statut des Juifs. Ainsi, note Didier Lecerf, à travers Honoré d’Estienne d’Orves, à la fois résistant et maréchaliste critique, c’est toute la complexité, toutes les contradictions de l’époque qui surgissent. [ signé Robert Spieler dans Rivarol le 24/02/2021 ]