Qui, mieux que Charles Péguy (1873-1914), a incarné la vertu républicaine par la modestie de ses origines, sa rectitude morale, ses engagements intellectuels et politiques ?
Et pourtant, quelle existence singulière et fulgurante que celle de ce normalien qui revendiquait hautement ses origines paysannes et devint l'une des plus grandes figures littéraires et politiques de la France contemporaine... Il fonde en 1900 les Cahiers de la quinzaine, écrit une œuvre immense, publie quelques-uns des écrivains les moins conformistes de son temps : Romain Rolland, André Suarès, Daniel Halévy... Son engagement vigoureux dans l'affaire Dreyfus, ses combats politiques successifs contre les manipulations de l'état-major, contre l'antisémitisme, puis contre la république radicale, son amitié puis sa rupture brutale avec Jaurès dessinent un personnage contradictoire et mystérieux. Rompant avec le socialisme de ses débuts pour se convertir à un catholicisme original et ardent, il évolue vers un patriotisme mystique incarné par Jeanne d'Arc, figure centrale de son œuvre poétique. Vivant dans la pauvreté et loin des honneurs, il ne cesse d'irriter ses contemporains par son intransigeance, sa dénonciation de l'hypocrisie du monde intellectuel et sa critique du monde moderne, dont il souligne la vanité et la médiocrité agissante. Quant la guerre éclate, ses doutes se dissipent. Il meurt au combat d'une balle en plein front le 5 septembre 1914.
Sous la plume d'Arnaud Teyssier, on croise les figures majeures de notre imaginaire politique et on décèle, grâce à l'intelligence lumineuse de Péguy et sa profonde humanité, quelques traits très actuels de notre impuissance démocratique.
Né en 1958, ancien élève de l'École normale supérieure et de l'ENA, Arnaud Teyssier est historien et haut fonctionnaire. Spécialiste d'histoire politique, il a publié, en 2004, chez Perrin, Lyautey (prix du Nouveau Cercle de l'Union).