Le communisme a laissé ses marques!
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.----. Le mur est tombé – l’URSS est redevenue la Russie. Les anciens satellites ont recouvré leur indépendance, les religions brimées leur liberté. Pourtant, il est capital de se rappeler « la façon » soviétique à leur encontre. Le communisme a laissé ses marques : les conséquences sont encore là. Et peut-être aussi que sa manière forte de l’époque a laissé place à ce qu’on appellerait aujourd’hui un « soft power », une influence plus sournoise, plus mondialisée aussi, porteuse d’une idéologie moins brute, moins ouverte, mais par là même plus dangereuse… Pour cette raison, il faut lire ce témoignage, « Chaînes et terreur – Un évêque dans les geôles communistes ».
Mgr Ploscaru était évêque de l’Église gréco-catholique roumaine à Lugoj en Roumanie. Arrêté le 25 août 1949 pour être resté fidèle à Rome et n’être pas passé à l’Église orthodoxe comme le demandait le régime communiste, il passa quinze années en prison dont quatre en isolement complet. De ses épreuves, il dit beaucoup – de ses motifs de résistance, plus encore – et livre un magnifique double témoignage, historique et spirituel.
La prétendue Unification : « un acte forcé » selon Mgr Ioan Ploscaru
Lors de la mainmise totale des communistes sur la Roumanie, au mois d’octobre 1948, l’Église gréco-catholique roumaine (en pleine communion avec l’Église catholique latine depuis 1697) comptait 1,5 million de fidèles. En 2011, n’en subsistaient plus qu’un peu plus de 150 000 et ce chiffre ne fait que baisser… La volonté d’anéantissement du régime rouge a fait son œuvre.
Tout comme l’Église romano-catholique de rite latin, mais bien plus encore, l’Église gréco-catholique s’est fait persécuter pour sa fidélité à Rome – le Vatican était bien trop ferme sur le communisme. Gheorghe Gheorghiu Dej, premier secrétaire du Parti communiste roumain, déclarait en 1946 : « L’Église catholique est l’unique obstacle encore organisé sur le chemin de l’installation définitive en Roumanie d’une démocratie populaire ».
Et c’est avec l’appui et la complicité de l’Église orthodoxe que le régime s’attela à la faire disparaître du paysage religieux et social. Avec les patriarches orthodoxes des pays occupés par les Russes réunis en « synode », fut décidée « la dissolution de l’Église gréco-catholique comme condition de la collaboration de l’Église orthodoxe avec les régimes communistes. » C’est ce qu’on appela l’« Unification » – ou prétendue comme telle.
« Chaînes et terreur – Un évêque dans les geôles communistes »
Chaque prêtre gréco-catholique reçut, à l’été 1948, une invitation à signer son « passage » à l’orthodoxie, envoyée par le Ministère des cultes : un tiers d’entre eux le signa. Sur les deux tiers restants, environ sept sur dix furent emprisonnés et les autres entrèrent dans la clandestinité. En octobre, les six évêques gréco-catholiques furent arrêtés. Et Pie XII ordonna aussitôt d’en consacrer d’autres en secret – dont fera partie Mgr Ploscaru, consacré le 3 novembre 1948.
« Curieux ! Un régime athée qui cherchait des adeptes, convaincus ou non, pour une autre Église chrétienne… » écrit Mgr Ploscaru !
Les Rouges avaient tout intérêt à cette collaboration qui contenait une population très religieuse, autant que l’Église orthodoxe, pragmatique, qui sut fort bien adapter son message, forgeant la théorie de l’« Apostolat social » qui pouvait concilier, selon les mots du patriarche Justinian Marina, les traditions de l’Église orthodoxe avec « les circonstances nouvelles provoquées par la marche de la société roumaine vers une société moderne », comprenez « socialiste »…
Mgr Ploscaru parle de « la plus grande tache qui ait souillé son histoire ».
De Jilava à Sighet, prison d’extermination : « la haine apportée par le diable dans le monde »
Persécuté, l’évêque roumain le fut donc. Son livre commence par ces mots : « L’Église du Christ n’a connu de victoire triomphale qu’une seule fois, en 313, quand l’empereur Constantin le Grand lui a accordé la liberté de culte. Il y a ensuite, toujours eu des persécutions, ça et là. « La persécution est une des caractéristiques de la véritable Église, selon les paroles de son fondateur Jésus-Christ ».
On avait promis la liberté à ces prêtres gréco-catholiques, parfois même des honneurs et des ponts d’or, en échange de leur apostasie – car c’en était une. Mais « Il ne peut y avoir d’accommodements avec la conscience » : « Ma liberté était liée à celle de l’Église ». Ce petit monde chrétien avait vu la persécution arriver. Chaque diocèse s’était consacré au Cœur Immaculé, comme demandé à Fatima. Et une force, venue d’en haut, devait accompagner ces martyrs jusqu’au bout.
« Le mystère de la douleur sans l’exemple du Christ sur la Croix n’a aucun sens, le monde ne peut ni le comprendre ni l’accepter »
Mgr Ploscaru parle de ces quinze années de prison avec un réalisme dépourvu d’amertume. L’horreur est pourtant là. Des séances d’interrogatoires musclées dont il n’était jamais sûr de revenir vivant, aux séjours dans « la noire », cette cellule sans lumière, où on laissait le détenu en sous-vêtements attaché à une chaîne, sans pouvoir s’asseoir à cause de l’eau qu’on avait répandue sur le sol… Souffrir de la faim, du froid, de l’isolement, se battre contre les rats, entendre gémir et mourir ses comparses… Rééducation ou extermination : c’était au choix.
Les joies sont alors si ténues… entre le bonheur d’apercevoir un carré de ciel bleu ou de recevoir la visite d’une araignée.
Jamais pourtant, Mgr Ploscaru n’est dans le blâme, préférant évoquer « la période la plus précieuse de [son] existence ». Il plaint surtout ceux qui sont tombés, ceux qui ont failli, les « lapsi » (apostats) comme les « libellatici » (ou collaborateurs : c’était le terme qui désignait les chrétiens ayant acheté des certificats témoignant qu’ils avaient sacrifié aux dieux romains).
Un chant d’amour à bout de foi : « Pour toutes les souffrances endurées, que Dieu soit béni à jamais ! »
Dans l’exercice accru de la Foi, à travers la prière et l’abandon à la Providence, Mgr Ploscaru a puisé sa capacité de résistance. Quand la vie et la mort deviennent indifférentes, quand l’anéantissement du corps et de l’âme sont proches, c’est « la seule arme de défense »… Le rosaire, la méditation, la poésie spirituelle ont scandé son quotidien. Parfois même la messe se célébrait, dans un dénuement quasi absolu.
Il y a ce tableau magnifique où on le voit écrire sur le mur de sa cellule, avec le sang de ses gencives malades, une Procuration d’offrande perpétuelle à la Mère du Christ. Mais il ne tait pas non plus ces moments douloureux où l’esprit rendu vide et fou, voit poindre les ferments de révolte… C’est à Dieu qu’il rend grâce de l’avoir préservé, avec une humilité non pas débordante, ce qui la rendrait soupçonnable, mais calme et comme évidente.
« J’ai souffert humainement. De désespoir, dans l’espérance, mais toujours dans la foi. » On entend le paradoxe thérésien…
Comment, alors, s’étonner encore de l’aveu d’un de ses enquêteurs : « J’ai déjà eu à interroger des légionnaires, des auteurs d’attentats, des politiciens et des espions, mais jamais je n’ai rencontré autant d’opiniâtreté que les prêtres catholiques ».
[ Signé : Clémentine Jallais le 20 mai 2018 ]
Que reste-t-il aujourd'hui ?
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.----. RESISTER AUX TORTURES
Mgr Ploscaru a été torturé durant des années et des années. Il décrit dans Chaînes et terreur, un évêque dans les geôles communistes les faits, sobrement. D’autres ont subi pire que lui ; il le mentionne, sans détailler ce qu’il n’a pas vécu personnellement.
Mgr Ploscaru, polyglotte, très cultivé – il avait voyagé avant 1939 en France et en Italie -, sait se souvenir des persécutions subies par l’Eglise, et trouve la force dans les nombreux exemples historiques, à commencer par celui de saint Paul. Dans les Actes des Apôtres et ses Epîtres, saint Paul mentionne ces épisodes. Surtout le chrétien doit se souvenir des circonstances de la mort du Christ, mort sur la Croix pour nos péchés, et mort après des souffrances physiques indicibles, dont témoigne visuellement le Saint-Suaire de Turin.
Que dire lors des interrogatoires ? Il faut témoigner fermement de sa foi, et refuser de rien signer. La Securitate, police politique communiste, a été experte dans l’invention de déclarations comprenant des formules floues, ambigües, jamais clairement apostates, totalement et formellement, mais conduisant sur une pente dangereuse. A l’étape suivante, lorsqu’il est demandé devant un évêque ou prêtre orthodoxe de passer à l’orthodoxie. Il est alors humainement terrifiant de refuser, devant la certitude de retourner à des mois de tortures. Mais d’aucuns, abusés ou victimes d’un moment de faiblesse, ont eu la grâce de trouver la force de refuser, même si à ce stade ce n’est vraiment pas la majorité. Les policiers communistes mentent aussi, systématiquement, afin de décourager le fidèle : il ne faut jamais croire à leurs listes impressionnantes d’apostats.
Toutefois, il existe un degré de souffrance où l’on parle…Les tortionnaires, maîtres de leur art monstrueux, savent très exactement jusqu’où faire souffrir sans tuer. Les plus faibles physiquement, les vieillards, fermes dans leur foi, ont la grâce de mourir vite, et d’aller au Ciel. Mais tel n’est pas le cas de la grande masse des jeunes et bien portants. Mgr Ploscaru recommande alors de ne jamais donner les noms de personnes amies ou simplement des connaissances, pas même dans le cadre de faits anodins. C’est, en régime communiste, condamner ces personnes à l’arrestation, la torture, voire la mort ou l’apostasie. Donc, il faut s’en tenir aux personnes et aux faits publics, parfaitement connus de la police politique : oui, en effet, Mgr Ploscaru dans sa jeunesse, a étudié à Strasbourg, en France, a rencontré des membres du clergé français, dont il peut donner les noms, car ils sont hors de portée des communistes roumains. Parfois, il faut avouer des complots absurdes : le régime communiste souffre d’un complotisme aigu, donc tôt ou tard le suspect est assez torturé pour avouer avoir participé à n’importe quel complot. Lui-même a avoué avoir comploté avec des agents du Vatican et des Etats-Unis, aux noms inconnus puisqu’agents étrangers, la fabrication clandestine d’une bombe atomique dans une cave en Transylvanie. Le chef des interrogateurs ne l’a quand même pas cru in fine, mais il a gagné avec ces aveux délirants un temps précieux, et compromis strictement personne.
QUE RESTE-T-IL AUJOURD’HUI DE L’EGLISE GRECO-CATHOLIQUE ROUMAINE ?
La libération du monstrueux régime communiste n’a été suivie que d’une renaissance très partielle des Eglises, dont l’Eglise gréco-catholique. Le matérialisme communiste, s’il a complètement échoué dans son projet de développement économique, à néanmoins réussi à chasser Dieu et la foi de bien des consciences roumaines.
L’Eglise gréco-catholique ne compterait aujourd’hui que 200 000 fidèles au plus, soit le dixième des effectifs en 1949. Certains comptages militants proposent jusqu’à 700 000 fidèles, dénombrement qui ressemble plus à un zèle pieux qu’à une réalité. Les fidèles qui sont passés à l’orthodoxie, et a fortiori leurs descendants, n’ont pas demandé en massé leur retour à l’Eglise gréco-catholique. Autrefois majoritaire dans la moitié septentrionale de la Transylvanie, elle serait nettement minoritaire aujourd’hui. [ Octave THIBAULT dans Réinformation-tv du 3 juillet 2018 ]
GRECO-CATHOLIQUE ?
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.----. Chaînes et terreur, un évêque dans les geôles communistes est l’adaptation française récente (2017), au titre explicite, d’un original roumain. Le livre est basé pour l’essentiel sur les souvenirs authentiques de Monseigneur Ion Ploscaru (1911-1998), évêque gréco-catholique roumain. Les gréco-catholiques sont, comme le nom l’indique, des catholiques de rite grec. On parle aussi de grecs-unis ou d’uniates à leur sujet. Curieusement, le terme « uniate » ne figure pas dans l’ouvrage. Les gréco-catholiques de Roumanie habitent massivement en Transylvanie, la grande province occidentale historique de la Roumanie, rattachée seulement en 1919 à ce pays. L’Eglise grecque-catholique de Transylvanie est issue du ralliement en 1698-1700 d’une large partie du clergé et des fidèles jusqu’alors grecs-schismatiques – ou orthodoxes – à Rome, peu après la libération du pays par les Autrichiens de la domination turque.
LE RATTACHEMENT FORCÉ DES GRECO-CATHOLIQUES A L’ORTHODOXIE
Ces uniates ont été persécutés sous le régime communiste en place en Roumanie, de l’automne 1944 à 1989. Si le communisme athée a persécuté tous les croyants, au nom de son matérialisme philosophique absolu, il a particulièrement persécuté les gréco-catholiques en Roumanie, ou en Ukraine occidentale, rattachée de force à l’URSS en 1944. Le communisme a explicitement voulu détruire en Europe orientale l’Eglise gréco-catholique en la rattachant de force à l’Eglise orthodoxe. En Roumanie, les catholiques de rite grec, des évêques au simple fidèle, ont tous été invités à apostasier en 1949-1950 au profit de l’Eglise orthodoxe.
Dans leur grand nombre et leurs structures officielles, les évêques et prêtres de l’Eglise orthodoxe roumaine n’ont pas refusé, pour le moins, ce rattachement forcé à leur Eglise. Cette Eglise orthodoxe est alors parfaitement contrôlée par le régime communiste, qui a promu systématiquement des compagnons de route à partir de 1944, remplaçant tous les éléments susceptibles de lui résister. Aussi est-on étonné par la préface française qui défend une approche opposée au contenu du livre, qui vante sans nuance les « merveilleuses relations œcuméniques » qui existeraient entre orthodoxes et catholiques. Après 1989, l’Eglise orthodoxe roumaine a même refusé de rendre à l’Eglise catholique tous les biens, à commencer par les cathédrales et églises, confisqués par le régime communiste en 1949-1950.
Le cœur de l’ouvrage propose des pages émouvantes, exemplaires pour le chrétien, du récit autobiographique de la persécution subie personnellement par Monseigneur Ploscaru, enfermé et torturé de 1949 à 1955, puis de 1956 à 1965. Il se lit très facilement. Nous suggérerons seulement au lecteur de se munir d’une carte de la Roumanie en général et de la Transylvanie en particulier ; c’est en effet un des modes de persécution du communisme que de déplacer sans cesse dans tout le pays, de prison en prison, ceux qu’il persécute.
CHAINES ET TERREUR, UN EVEQUE DANS LES GEOLES COMMUNISTES : COMMENT RESISTER A LA PERSECUTION 
 
Comment résister à la persécution ? Telle est la problématique majeure des textes de Mgr Ploscaru. Il ose, comme saint Paul avant lui, mais pour le bien des fidèles, se donner comme exemple.
Le catholique doit avoir une foi ferme. L’Eglise orthodoxe n’est pas une expression strictement équivalente de la même foi chrétienne ; suivant cette hypothèse fausse, la conversion à l’orthodoxie serait naturelle, et la résistance à la persécution une obstination déraisonnable. Non, l’Eglise gréco-catholique, si sa liturgie ressemble effectivement celles des orthodoxes, est fondamentalement catholique. L’union à Rome et au pape est à comprendre comme une réunification spirituelle profonde pour un pays, la Roumanie, dont le nom signifie « Rome » et certainement pas comme un schisme face à quelque identité orthodoxe sous-jacente.
Mgr Ploscaru rappelle à quel point les uniates, et leurs prédécesseurs directs, ont joué un rôle essentiel dans la naissance de la langue roumaine moderne et l’éveil national roumain. Les gréco-catholiques sont au cœur de la nation roumaine, et certainement pas dans une marge douteuse, suivant une définition fausse du patriotisme roumain instrumentalisé par les communistes, et parfois encore en usage de nos jours. L’Eglise gréco-catholique a adopté des dévotions catholiques spécifiques, comme le chapelet, les dévotions aux cœurs immaculés de Jésus et de Marie. Le catholique persécuté résiste avant tout par la prière, la sienne et celle des autres fidèles. On ne saurait résister sans des grâces spéciales du Ciel, et ces dévotions aident à les obtenir. Mgr Ploscaru l’a senti, il l’affirme.
Le clergé, et singulièrement les évêques, doit être composé de sujets d’élite. Les individus faibles, que ce soit sur le plan doctrinal ou psychologique, ont tendance à manquer de fermeté. Ainsi, dans son cas, aucun évêque gréco-catholique n’a apostasié, en dépit des tortures parfois insupportables. Outre les coups, réguliers, les supplices les plus courants sont la faim, le froid et le chaud. Le climat continental roumain est très froid l’hiver et très chaud l’été. Les geôliers communistes ouvrent donc les fenêtres l’hiver et les ferment l’été, ce qui peut tuer littéralement, ou faire perdre la raison. Beaucoup d’évêques sont morts martyrs mais aucun n’a apostasié. On le sait, car dans le cas contraire, le régime s’en serait vanté.
Les prêtres ont été fermes ou ont basculé dans l’orthodoxie, selon les cas. Mgr Ploscaru insiste sur la force que donne le célibat ecclésiastique, tradition romaine et non orientale. Les prêtres célibataires ont bien mieux tenu que les prêtres mariés, soucieux souvent d’épargner des tourments à leurs femmes et leurs enfants.
Quant aux simples fidèles, du fait de son isolement et de la prudence dont il a fallu faire preuve lors de sa libération conditionnelle en 1965, Mgr Ploscaru en parle peu. Le clergé a été séparé des laïcs dans les prisons. Les apostasies ont été importantes, tout comme les résistances, et il n’est pas possible d’établir un bilan chiffré sur les 2 millions de gréco-catholiques de 1949. Mgr Ploscaru insiste sur le fait que la fermeté doit s’accompagner de la prudence. Nul ne sait s’il pourra résister aux tortures physiques et psychologiques. ( suite ... )