Céline a joué sa vie sur ses haines. Elles sous-tendent son oeuvre. Son antisémitisme n'est que l'aspect grimaçant d'un racisme biologique auquel il a adhéré de toute sa force par-delà les comédies et les palinodies. Sûr d'avoir l'horrible vérité pour lui, il s'est très tôt convaincu qu'on voulait sa mort physique, littéraire. Cela l'autorisait à vouloir celle des autres et justifie tous les travestissements.
Cent ans après la naissance de Louis Destouches, il est enfin possible de faire la part du vécu et du transposé. Réapparues, Élisabeth Craig, Karen Marie Jensen racontent la genèse de Voyage au bout de la nuit, les ruptures, l'or du Danemark. La masse de lettres qu'il a écrites permettent de suivre sa vie, souvent au jour le jour. Chacun les a gardées. On les a retrouvées en Australie, à Londres, au Maroc, en Californie ou chez ses éditeurs ; celles aussi adressées à Robert Le Vigan, qui fut forcé de les vendre, ou celles encore que Je suis partout renonçait à publier en 1942 et 1943, pour "excès racistes". Sentiments, passions, argent, ces lettres racontent une histoire bien différente de celles qu'il a écrites ou inspirées. Ni peuple ni pauvre, Céline, mais "accablé d'orgueil"et constamment humilié. Aussi désireux de réussite que de revanche.
De Baden-Baden à Sigmaringen, en passant par Rambouillet, la caserne, la prison, les toits de Copenhague ou le château Scherz, voici le tissu de la fiction, et comment se crée la biographie imaginaire où Ferdinand raconte ce que sent Louis Destouches : son histoire symbolique. Mais cet ouvrage est en même temps la première biographie critique de Céline. Elle suit le rythme du vécu, jusqu'à la dernière mise en scène, à Meudon.
Ni fou, ni saint, mais persécuteur persécuté. Un grand écrivain, au style nourri de passions et de phobies, le seul qui, par le miracle de la langue au-delà des options politiques, unisse gens de culture et grand public. À travers Céline, le siècle se raconte ; il est le seul à en avoir rendu les débats, les déchirements, les drames et les bonheurs.
Philippe Alméras est l'un des meilleurs spécialistes de Céline, sur lequel il travaille et publie depuis plus de vingt-cinq ans. Parmi ses derniers livres, citons Un Français nommé Pétain (Laffont), Retours sur le Siècle (Les cahiers de Jalle), "Je suis le bouc", Céline et l'antisémitisme (Denoël), De Gaulle à Londres (Dualpha), JournaI noir de l'Algérie indépendante (Dualpha) et Vichy-Londres-Paris (Dualpha).