Roger Vercel, un auteur oublié
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.----. « Les courants ne vous emportent que si vous vous y jetez… » (Roger Vercel « Été indien » (1)).
Alors qu’on voudrait nous imposer tantôt le français « inclusif », tantôt la langue de bois des technocrates, le sabir banlieusard ou une littérature « politiquement correcte » car expurgée de tout ce qui pourrait vexer ou blesser les minorités – raciales, religieuses, physiques ou sexuelles – je voudrais rendre hommage à un auteur, mort un 26 février (1957). Un auteur prolifique, qui maniait la belle langue et savait faire rêver ses lecteurs. Un auteur qu’on a volontairement oublié parce que les ayatollahs de la bien-pensance ont décrété qu’il ne méritait pas de figurer parmi nos grands auteurs.
Il s’appelait Roger Vercel ou, plus exactement Roger Auguste Crétin, patronyme difficile à porter pour quelqu’un d’une intelligence rare (2). Il naît le 8 janvier 1894 au Mans, dans la Sarthe.
Élève brillant, il est en faculté de lettres à Caen au début de la Grande Guerre. En 1914 il est mobilisé et, comme il est myope comme une taupe, on l’affecte comme brancardier sur les champs de bataille du Nord et de l’Est de la France. Il prend part aux batailles de l’Yser, de Champagne, de la Somme. Gazé à l’ypérite, blessé au bras gauche, titulaire d’une citation, il recevra la croix de guerre, avec étoile de bronze pour son courage au feu.
Mais la Grande Guerre est dévoreuse d’hommes et l’Armée manque de gradés. Roger, qui a démontré ses qualités, est envoyé en formation d’élève-officier, en juillet 1917, à Saint-Cyr. Il en sort aspirant et on l’envoie aussitôt sur le front d’Orient, en Roumanie.
Il ne sera démobilisé qu’en octobre 1919, presque un an après l’Armistice. De nos jours, on a tendance à oublier que pour beaucoup de « Poilus », la Grande Guerre s’est terminée en… 1920.
Titulaire d’une nouvelle décoration, il est nommé sous-lieutenant en 1920, l’année où il peut enfin terminer sa licence ès lettres.
Gazé au début du conflit, Roger Vercel souffre toujours des poumons. Il sollicite un poste d’enseignant dans une ville de bord de mer, sur les conseils de ses médecins. En octobre 1920, il obtient un poste de professeur de français au collège municipal de garçons de Dinan.
En 1927, il soutient brillamment une thèse de doctorat en lettres (3). L’Académie française lui attribue, pour ce travail, le prix Saintour d’histoire littéraire.
Puis le jeune professeur se lance dans l’écriture. Ses souvenirs de guerre lui inspirent ses premiers livres (dont « Capitaine Conan » (4)) mais il devient surtout un amoureux de la mer et aime à raconter la vie des marins. La plupart de ses romans se déroulent avec la mer en toile de fond.
En 1934, Roger Vercel rencontre Louis Malbert, capitaine du remorqueur « Iroise ». Cette rencontre lui inspire le roman « Remorques » (5). En 1941, sous l’Occupation, le roman deviendra un film, tourné par Jean Grémillon, avec Jean Gabin dans le rôle principal.
Vercel est reconnu comme un grand romancier dès 1932, année où il se voit attribuer le prix du « Comité Fémina France-Amérique » pour son roman « Au Large de l’Eden ». Il obtient le prix Goncourt, en 1934, pour « Capitaine Conan », roman partiellement autobiographique.
Bien que myope et gazé durant la Grande Guerre, Roger Vercel sera mobilisé d’août 1939 à juillet 1940, puis il reprendra son poste au collège de Dinan. Et c’est là que son destin bascule :
Le 16 octobre 1940, il publie un article jugé comme antisémite dans le journal « L’Ouest-Éclair » (futur « Ouest-France »). Après la guerre, Vercel est mis à la retraite d’office, par arrêté du ministre de l’Éducation nationale en date du 19 septembre 1945. La demande émane du « Conseil académique d’enquête » de l’Académie de Rennes du 1er mai 1945. On lui reproche d’avoir « publié plusieurs articles où il soutient la politique du maréchal Pétain et de l’amiral Darlan, articles de nature à détruire l’esprit de Résistance ». Tous ces résistants, souvent tardifs, ne tiendront aucun compte des états de service exceptionnels du combattant qu’il fut durant la Grande Guerre. C’est une époque où on se chargeait d’épurer ceux qui avaient osé soutenir le Gouvernement de Vichy.
En ces temps troublés, la justice était souvent aussi expéditive qu’injuste et partisane (6).
N’a-t-on pas condamné lourdement Charles Maurras pour « Intelligence avec l’ennemi » alors que Maurras a toujours été foncièrement anti-Allemand ? Mais il avait qualifié de « divine surprise » l’arrivée au pouvoir du maréchal Pétain et, pour les épurateurs, c’était impardonnable.
Quand on voit les photos de cette époque, Roger Vercel avait tout pour déplaire : il portait des lunettes rondes comme Jacques Doriot et une petite moustache comme Adolf Hitler. Il avait tout simplement le physique des intellectuels de son temps.
Sa mise à la retraite sera sans effet, puisque depuis 1941, il obtenait tous les ans un congé d’inactivité pour ses publications littéraires. À la Libération, aucune charge contre lui n’émanera du « Comité FFI » de Dinan, du « Comité national des écrivains », ni de la « Commission d’épuration de la Société des gens de lettres ». On lui reprochera quand même son article antisémite du 16 octobre 1940 et on oubliera qu’il a toujours refusé d’écrire dans la presse collaborationniste.
Décoré de la Légion d’honneur en 1938, il n’en sera pas, comme tant d’autres, déchu à la Libération. Il sera même promu au grade d’officier par décret du 30 août 1949.
C’est à Dinan que Roger Vercel s’éteint, âgé de 63 ans, en 1957, d’une pleurite. C’est la triste conséquence de son gazage à l’ypérite pendant la Grande Guerre, gazage dont il aura gardé des séquelles durant toute sa vie. Roger Vercel est inhumé au cimetière de Dinan. En 1966, son nom a été donné au collège dans lequel il a enseigné durant 21 ans. On lui devait bien ça !
Roger Vercel a laissé une œuvre immense et riche : une vingtaine de romans dont « Notre père Trajan », « En dérive », « Capitaine Conan », et « Remorques » déjà cités ; des nouvelles et une bonne vingtaine de récits dont « Croisière blanche », « Visages de corsaires », « Du Guesclin », pour ne citer que les plus connus. Plusieurs de ses œuvres ont été portées à l’écran :
En 1941 : « Remorques », de Jean Grémillon, avec Jean Gabin, Michèle Morgan, Madeleine Renaud et Fernand Ledoux. En 1949 : « Du Guesclin », film de Bernard de Latour, avec Fernand Gravey, Gisèle Casadesus, Louis de Funès et Gérard Oury. En 1949 : « Les Eaux troubles », film d’Henri Calef, avec Jean Vilar, Ginette Leclerc, André Valmy et Mouloudji. En 1954 : « Le Grand Pavois », film de Jacques Pinoteau, avec Nicole Courcel, Marie Mansard et Jean-Pierre Mocky.
Et plus récemment, en 1996 : « Capitaine Conan », film de Bertrand Tavernier, avec Samuel Le Bihan, Bernard Le Coq et, dans le rôle principal, un Philippe Torreton assez peu crédible dans la peau d’un officier de chasseurs mais plutôt moins crispant que d’habitude.
Roger Vercel est un de nos grands écrivains, injustement ostracisé. Ces nombreux romans sont remarquablement écrits et méritent d’être (re) découverts. Et puis, Vercel, c’est aussi un officier courageux, gazé puis blessé au front, croix de guerre 14-18 et officier de la Légion d’honneur.
J’ai voulu lui rendre hommage en ce 26 février, date anniversaire de sa mort. Quelques jours après la cérémonie des « Césars » où le monde du cinéma s’auto-congratule autour de films souvent mauvais et boudés par le public, je préfère honorer l’auteur de quelques romans remarquables.
1) « Été indien » de Roger Vercel ; Albin Michel ; 1956.
2) Roger Vercel est un pseudonyme, lequel deviendra son patronyme officiel par décret du 25 septembre 1936.
3) Thèse dont le sujet est : « Les Images dans l’œuvre de Corneille ». Sa thèse complémentaire est un lexique des images de Pierre Corneille et de Racine.
4) « Capitaine Conan », publié en 1934 sera réédité plusieurs fois. La dernière édition date de 1996.
5) « Remorques », publié chez Albin Michel en 1935.
6) J’ai traité ce sujet dans « Mythes et Légendes du Maquis » publié aux éditions Muller.
[ Signé : Eric de Verdelhan le 26 février 2023 dans Riposte Laique ]
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Un des rares Prix Goncourt de grande qualité
5/5 https://leslivresdantoine.com/
.----. On ne lit plus Roger Vercel et c'est bien dommage. Capitaine Conan est un de ses meilleurs romans et obtint un des rares Prix Goncourt de grande qualité.
Nous sommes dans les Balkans en novembre 1918. Le corps franc du capitaine Conan, après s'être couvert de gloire, s'ennuie dans l'inaction après l'armistice. Les héros deviennent délinquants mais ils sont couverts par leur chef, lui-même en butte à la hiérarchie militaire qui le déteste et il le lui rend bien.
Mais les crimes succèdent aux rapines et il faut sévir. Les conseils de guerre se réunissent présidés par un officier, ami de Conan. L'affrontement est âpre et les dialogues superbes entre le guerrier inapte à la discipline et l'officier de tradition.
Le sujet du baroudeur incompris a souvent été traité dans la littérature guerrière mais rarement avec autant de justesse et sans manichéisme.
Un beau roman.
[ Signé : adelacoste le 29 octobre 2015 ]
P.S. : Ce blog a une seule ambition : faire partager les lectures qui, depuis plusieurs décennies, m'ont ému, enthousiasmé, impressionné par leurs qualités historiques ou, surtout, littéraires. Il fera référence à des auteurs classiques ou contemporains, célèbres ou oubliés. Seule compte la qualité de l'œuvre avec tout ce que cela peut comporter de subjectif.