Entretien avec Mgr Léonard: Mille raisons d’espérer!
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.----. Mgr André Léonard, ancien évêque de Namur puis archevêque de Malines-Bruxelles, et le père Henry Haas viennent de faire paraître un ouvrage écrit à quatre mains intitulé Bonjour Espérance ! Dans la grisaille du monde actuel, un tel titre résonne comme un coup de cymbale bienvenu pour nous réveiller de notre somnolence. A notre demande, Mgr Léonard précise certains points saillants abordés au cours de ce dialogue écrit.
— Monseigneur, vous dites qu’entre la création à l’état originel et la création à l’état définitif, dans lesquelles le péché n’a eu ou n’aura aucune part, nous connaissons la création soumise à la vanité et à la corruption, mais « habitée par l’espérance ». L’espérance, choisie pour titre, est-elle votre boussole ?
— Comme aurait pu dire de Gaulle, « vous m’avez compris ! » Il y a mille raisons de désespérer de l’humanité et de son avenir. Tant de défis, apparemment insurmontables, assaillent la société civile et l’Eglise de ce temps. Mais j’ai, avec tant de raisons intelligentes, mis ma foi dans le Christ ressuscité. Comment ne pas espérer, encore et toujours, quand on puise son espérance auprès de celui qui a traversé la mort et nous déclare : « Dans le monde, vous aurez à souffrir. Mais gardez courage ! J’ai vaincu le monde » (Jn 16, 33). Oui, vous m’avez bien compris : l’espérance est la boussole assurée de ma vie. Si donc vous me donnez cent raisons de perdre cœur, j’en trouverai mille d’espérer auprès de Jésus, « mon Seigneur et mon Dieu » (Jn 20, 28). Et d’espérer pour tous, y compris pour moi-même.
— Vous recommandez aussi de vivre, non pas dans le regret du passé ou le désir de l’avenir, mais dans le présent, donné comme… un présent ! N’est-ce pas contradictoire ?
— Vous avez raison en un certain sens. Car l’espérance est tournée vers l’avenir. Elle est même tournée vers l’avenir absolu. La Lettre aux Hébreux (6, 19-20) ose la comparer à une ancre solide qui serait plantée, non dans la mer ou en terre, mais dans les cieux, là où Jésus a pénétré par sa résurrection. En ce sens, nous sommes, par l’espérance, résolument tournés vers le futur. Mais comme nous ne disposons pas de cet avenir, comme nous n’en sommes pas la source, il serait vain de le rêver selon les fantaisies de notre imagination, car, comme dit saint Paul (1 Co 2, 9), « ce que l’œil n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, ce qui n’est pas monté au cœur de l’homme, voilà ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment ». La part essentielle qui nous revient donc est de nous engager, avec espérance, au cœur des « souffrances du temps présent » (Rm 8, 18), sans nostalgie du « bon vieux temps » passé et sans rêvasseries de futurs châteaux en Espagne.
— Votre apostolat comme chapelain à Notre-Dame du Laus vous permet de confesser beaucoup et souvent. Vous constatez ainsi « la fragilisation de l’union conjugale ». Quelles en sont les raisons, selon vous ?
— La plupart des soutiens qui étayaient jadis l’union conjugale ont disparu aujourd’hui, à savoir : la nécessité économique de travailler ensemble à l’entreprise familiale, la juste complémentarité des missions de l’homme et de la femme, la ferme réprobation (de principe !) des relations préconjugales et de l’adultère, le tout porté par des évidences sociales ou religieuses. Ce « corsetage » de l’institution conjugale comportait quelques excès. Mais il garantissait une solidité certaine. Aujourd’hui, l’union conjugale repose essentiellement sur le sentiment amoureux, ce qui est positif à beaucoup d’égards. A la condition que le sentiment, de soi fragile, soit soutenu par l’exercice fidèle et durable de la volonté. Car l’amour n’est pas que sentiment, il est aussi volonté d’aimer l’autre pour ce qu’il est, dans la durée du temps. La multiplication des expériences amoureuses préconjugales, la cohabitation avant le mariage (le « mariage à l’essai », comme on dit parfois) n’ont manifestement pas consolidé la vie des couples… Positivement, je salue l’attitude prophétique d’une minorité de jeunes, inspirés par la foi, qui font le choix de ne pas avoir de relations sexuelles avant le mariage. Même si leur parcours peut connaître un dérapage occasionnel, ils sont sur le bon chemin.
— A propos notamment du père Michel Marie Zanotti-Sorkine, vous soulignez l’importance d’une forme belle dans l’apostolat. Cela vous paraît donc essentiel, avec saint Pie X, de « prier sur de la beauté » ?
— Oui, la beauté est la transfiguration qui rend la vérité aimable et désirable ! La vérité pure et dure peut décourager. Elle a besoin d’être belle pour toucher les cœurs. D’où mon regret, comme écrivain, de n’avoir jamais réussi à écrire un roman ou de la poésie. Presque tous mes ouvrages sont très pédagogiques, certes, mais s’adressent surtout à l’intelligence. Une seule fois, j’ai réussi à écrire un livre où un riche contenu philosophique et théologique se coule dans une forme littéraire où s’entremêlent le journal intime, les fantasmagories oniriques et les rêveries poétiques. Il s’agit de La Divine Tragédie(Namur, éditions « Fidélité », 2012). Parfois, je m’efforce d’imaginer une intrigue romanesque, mais, jusqu’ici, sans succès, hélas !
— Vous abordez à diverses reprises la question de l’après-concile, que vous avez vécu. « Dérapages doctrinaux » des pères Schillebeeckx et Kung, « volonté secrète de rupture », « appréhensions » lors de l’après-concile, « manœuvres » des évêques belges, confrères « déboussolés intellectuellement par le méta-concile », textes « objectivement irréprochables mais susceptibles d’interprétations tendancieuses ». Ces interprétations qui ont eu si mauvaise influence ont-elles toujours cours actuellement ? Ou l’Eglise est-elle en train de remonter ce courant de la « terrible débâcle ecclésiale des années 70 » ?
— Votre question est délicate. Toutes ces interprétations délétères du « métaconcile » ont pu être redressées progressivement grâce à la fermeté lucide et intelligente du magistère de Paul VI et, surtout, de Jean-Paul II et de Benoît XVI. Le pontificat actuel a ses mérites de proximité et de souci des pauvres (ce que les précédents avaient aussi, mais dans un style moins populaire), mais sa grâce propre n’est pas celle de la clarté sur le plan théologique, philosophique et liturgique. C’est pourquoi je redoute qu’à la faveur d’ambiguïtés, conscientes ou inconscientes, sur des questions d’extrême importance, se développent de nouvelles dérives doctrinales ou pratiques, un peu comme dans les années 70. Mais je me console à la pensée qu’elles seront surtout le fait des générations proches encore de mai 68. Les jeunes générations de prêtres, de séminaristes, de consacré(e)s et de laïcs formés me semblent globalement plus solides et capables de résister à des dérives ruineuses.
— L’une de vos phrases peut surprendre : « Comme elle est bienfaisante la pensée de la mort prochaine ! » Pouvez-vous développer ?
— Le développement sera bref : la pensée de la mort prochaine pousse puissamment à la conversion du cœur et à un engagement accru dans le temps présent.
[ Présent, samedi 17 février 2018, n° 9053 . Signé : Anne Le Pape (anne-le-pape@present.fr) ]