Une question se posera immédiatement à l'esprit du lecteur en se plongeant, c'est le mot, dans l'océanique bibliographie d'Alain de Benoist - bibliographie très provisoire d'ailleurs puisque, à 65 ans, il lui reste au moins deux bonnes décennies pour en doubler le volume ! Comment fait-il ? Je ne suis pas dans le secret de sa forge, mais un premier souvenir me vient immédiatement à l'esprit. Je l'ai rencontré pour la première fois en 1971, mais ce n'est qu'en 1972 quej'ai eu un aperçu de sa méthode de travail. Dans un bureau de Valeurs actuelles, je l'ai surpris un jour en train de découper des bandelettes de papier sur lesquelles étaient écrites, à la machine à écrire, des phrases, des paragraphes, des citations, des notes, des références, tout cela rédigé en vrac, au hasard de ses recherches et de ses réflexions, en vue d'un article. Puis il les classait et les recollait sur une feuille blanche, dans un ordre dicté par le plan qui s'était établi progressivement au fur et à mesure de leur écriture. Il avait alors sous les yeux et le squelette et la chair de son article ; il ne lui restait plus, si j'ose dire, qu'à les parfaitement solidariser, c'est-à-dire à rédiger.
Ce n'est pas seulement l'itinéraire d'un penseur dont cette bibliographie offre les jalons. Mais c'est encore celui d'un écrivain. Cela ne va pas sans dire car, à ma connaissance, personne ne s'en est encore vraiment avisé. Or, Alain de Benoist n'est pas seulement un écrivain parce qu'il écrit des livres, sinon la France serait peuplée d'écrivains. Alain de Benoist est un écrivain parce que ses livres (et ses articles), il ne les écrit pas dans n'importe quelle langue. Il les écrit en français, et dans un français dont il respecte les règles, les usages et l'histoire avec un scrupule mêlé de volupté. Non pas qu'il s'adonne à la préciosité ou à l'effet, bien au contraire. Mais il y a incontestablement, chez lui, un plaisir à user des ressources de la langue française pour donner forme à sa pensée, laquelle est constamment en devenir. Une pensée vivante ne saurait être exprimée dans une langue morte, et Alain de Benoist le démontre avec bonheur !
Si la pensée d'Alain de Benoist est si vivante, c'est enfin parce qu'il est lui-même en permanence à l'écoute de la vie, animé par une curiosité intense et sans limites, une immense générosité.
Michel Marmin