Entretien avec l'auteur ?
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.----. Monsieur Seewald, votre nouveau livre est en quelque sorte un compendium de votre biographie de Joseph Ratzinger/ Pape Benoît XVI. Avec votre ouvrage de base sur la vie de ce pape et notamment grâce à vos recueils d'entretiens avec lui, vous avez ouvert une fenêtre sur un regard intense sur le devenir et l'action de ce pape.
Peter Seewald : "L'héritage de Benoît" est en effet un compendium ; un livre pour les lecteurs qui veulent s'informer de manière compacte sur le parcours, la personne et l'importance du pape allemand. En fait, je ne voulais rien faire de plus. Mais Tim Jung, l'éditeur de Hoffmamn und Campe, m'a convaincu de l'idée d'atteindre d'autres cercles de lecteurs avec un livre moins volumineux, sous forme de dialogue narratif, après ma grosse biographie du pape. C'est important. Dans le débat sur l'interprétation de Benoît XVI, il faut de la compétence matérielle.
Avec votre travail de journaliste, vous vous placez sur un pied d'égalité avec des historiens de l'Eglise comme Ludwig von Pastor et Hubert Jedin, malgré certaines différences. Est-ce que ce sont des spécialistes comme vous qui ouvrent aujourd'hui aux gens ce que les théologiens faisaient autrefois ?
Peter Seewald : Oh là là, c'est beaucoup trop ambitieux. Je ne suis qu'un journaliste à qui l'on a confié une tâche précise. Le défi est de transmettre les choses de la foi à partir de la compréhension de la foi, et de le faire sous une forme que l'on comprend, qui soit lisible et passionnante.
Les théologiens sont indispensables s'ils font vraiment de la théologie. Une théologie à l'écoute, qui transmet la parole de Dieu dans le langage et avec les connaissances de l'époque, mais aussi fidèlement à la doctrine. Aujourd'hui, la plupart des théologiens qui se pressent sur la scène publique ne voient le mystère chrétien que comme un projet académique, comme l'a fait remarquer un jour Benoît XVI, qui n'a rien à voir avec leur vie. Ratzinger a passionné ses étudiants pour les mystères et la vérité de la foi. Je doute qu'on puisse en dire autant de son successeur actuel à son ancienne chaire de Münster. Cela devient particulièrement gênant lorsque de telles personnes reprochent à quiconque s'exprime ne serait-ce qu'une seule fois en faveur du pape allemand de vouloir construire des légendes et un mythe, alors qu'elles n'ont elles-mêmes rien fait d'autre que de peindre au public une image hideuse de l'ennemi en ce qui concerne Benoît.
Vous-même aviez d'abord rencontré Joseph Ratzinger dans le cadre de vos fonctions professionnelles. A l'époque, vous n'étiez ni chrétien ni catholique et, surtout, vous ne pouviez pas savoir ce que cette première mission allait signifier pour vous, tant sur le plan professionnel que privé. Si vous vous rappelez, une première intuition vous est-elle venue ?
Peter Seewald : Non, du moins pas dans les premières années. Après notre premier livre "Le sel de la terre", je devais en rester là. J'étais revenu discrètement à l'Église catholique, mais en tant que journaliste, le thème de la religion était pour moi terminé. Lorsque le rédacteur en chef de l'époque du Süddeutsche Zeitung, Hans Werner Kilz, m'a proposé le poste de rédacteur de politique ecclésiastique, j'ai décliné l'offre.
Peut-on dire que Joseph Ratzinger/Benoît XVI a été pour vous personnellement un "enseignant vers l'Église" ?
Peter Seewald : Il y a chez lui une telle richesse qu'on ne peut s'empêcher de s'en étonner. Par exemple, son honnêteté intellectuelle radicale. Sa pensée européenne. Et surtout sur sa catéchèse. Il écrivait des phrases comme : "Croire n'est rien d'autre que toucher la main de Dieu dans la nuit du monde".
Voilà un grand maître spirituel qui savait mieux que quiconque transmettre la splendeur d'un monde supérieur. Il élevait ainsi ses auditeurs et lecteurs à une hauteur où l'esprit et l'âme peuvent flotter librement. Une sphère qui montre quelque chose de la beauté et de la vérité du message chrétien. Contrairement à nombre de ses collègues professeurs, Ratzinger se plaçait dans le courant de l'Église historique et non pas contre elle de manière autocratique. Surtout, avec lui, on pouvait être sûr que ce qu'il disait était peut-être inconfortable, mais correspondait de manière fiable au message de l'Évangile, à l'enseignement des Pères de l'Église et aux expériences tirées des 2000 ans de tradition de l'Église. En bref, celui qui lit Ratzinger ne se demande pas comment NOUS voulons que l'Église soit, mais comment LUI veut qu'elle soit.
Que pensez-vous de la question de savoir si Benoît devrait être officiellement nommé docteur de l'Église ?
Peter Seewald : Question inversée : qui d'autre ? Cela ne plaira pas aux détracteurs notoires de Ratzinger. Mais cela se fera. Tout simplement parce que c'est logique, cohérent et inéluctable. Personne d'autre que lui n'a donné des impulsions aussi novatrices pour l'Église et la foi au XXe siècle et au début du XXIe. Sans lui, il n'y aurait pas eu de Concile Vatican II tel que nous le connaissons. Personne d'autre n'a développé un concept plus convaincant sur la manière dont le christianisme peut rester authentique même dans les conditions d'un environnement qui lui est redevenu hostile. Personne d'autre n'a combattu les hérésies de manière aussi conséquente ; personne d'autre n'a montré aussi tôt que la forme actuelle de l'Église en Occident ne pouvait pas être maintenue et qu'il serait bon pour elle - mot-clé : dé-mondanisation - d'abandonner ses biens afin de préserver son véritable bien et de répondre à sa véritable mission.
Selon votre livre, le pape François a déclaré à propos de l'élection de son prédécesseur à la tête de l'Eglise catholique mondiale : "A ce moment de l'histoire, Ratzinger était le seul homme ayant la stature, la sagesse et l'expérience nécessaire pour être élu".
Peter Seewald : C'est resté ainsi. Personne n'a été plus clairvoyant, plus sage, plus lucide et plus beau dans son expression. Personne n'a mieux exprimé la beauté, la vérité, la joie de la foi, sans oublier l'unité de la raison et de la foi. Ce que son successeur reconnaît sans réserve. "Pour moi, Benoît était une forteresse", disait récemment François, "dans le doute, je faisais venir la voiture, j'allais au monastère et je l'interrogeais".
Finalement, Benoît est devenu le théologien le plus important qui ait jamais occupé le siège de Pierre. Qui n'a pas conduit à l'énucléation, mais au retour au noyau. Les preuves qui parlent en faveur de Benoît comme le docteur de l'Eglise des temps modernes pourraient se poursuivre longtemps. Sa trilogie du Christ d'une profondeur inouïe, la première d'un pape, est à elle seule un héritage irremplaçable.
Et comment pourrait-on s'y prendre si cette nomination se déroulait selon la devise : "Les bonnes choses prennent du temps" ?
Peter Seewald : Benoît XVI divise les esprits. Cela restera ainsi. Mais ce n'est pas forcément un inconvénient. C'est là que le bon grain se sépare de l'ivraie. Pour le dire avec une image : les processus de réforme sont toujours nécessaires, mais on voit aussi que partout où Ratzinger doit rester à la porte, il y a des caquètements excités et des querelles stériles. Et partout où on le laisse entrer, quelque chose bouge, des sources se manifestent, dont nous avons besoin pour ne pas nous déserter spirituellement.
Les fidèles de l'Eglise ont d'ailleurs voté depuis longtemps sur cette question. Théologien le plus lu des temps modernes, avec des millions d'exemplaires vendus dans le monde entier, Benoît XVI est de facto le docteur de l'Eglise des temps modernes par excellence ; celui qui n'a pas cherché à se connecter au monde, mais à revitaliser intérieurement le christianisme à partir de ses racines. Tout autour du globe, on assiste aujourd'hui à un véritable déluge de symposiums, de conférences, de catéchèses, de groupes de prière, tous consacrés à l'héritage de Benoît, sans compter les nombreuses initiatives, les prêtres, les laïcs missionnaires pour lesquels le pape Benoît représente une sorte de Moïse de notre temps, qui montre le chemin dans le désert.
Quelles pensées et quels sentiments vous sont venus à l'esprit au moment de la mort et des adieux publics du pape Benoît XVI ?
Peter Seewald : Honnêtement, je n'ai pas eu le temps de ressentir quoi que ce soit. J'étais tellement occupé par des demandes d'interviews de toutes sortes de pays que je n'ai pas eu le temps de faire mon deuil. Bien sûr, la nouvelle que cet homme merveilleux n'est plus parmi nous est douloureuse. Lui-même aspirait depuis longtemps à "rentrer à la maison". Et il savait exactement où il allait. "S'il y a un sens à appartenir à l'Église", a-t-il dit un jour, "c'est qu'elle nous donne la vie éternelle et donc la vie juste, la vraie vie. Tout le reste est secondaire".
Cela me faisait de la peine de voir tout ce qu'il devait encore supporter. Non seulement les attaques inouïes contre lui, la tentative de l'éliminer complètement en le rendant quasiment responsable de tous les abus sexuels (bien que les spécialistes s'accordent à dire que c'est Ratzinger qui, en tant que préfet et pontife, a ouvert la voie à la lutte contre ces crimes), mais aussi ses nombreux maux de santé. Il ne s'en est jamais plaint. Le public ne savait même pas qu'il était devenu complètement aveugle de l'œil gauche lors de son entrée en fonction, qu'il souffrait de maux de tête chroniques depuis ses années d'étudiant, qu'il avait besoin d'un pacemaker, que - en tant que personne qui se creusait la tête même la nuit pour s'acquitter de ses tâches du mieux qu'il pouvait - il avait besoin de somnifères de plus en plus puissants.
De ce point de vue, j'étais également reconnaissant que l'heure lui ait été donnée de passer dans l'autre monde le 31 décembre, un jour, la Saint-Sylvestre, qui sera désormais toujours lié au pape Benoît. Sur le vol de retour après la messe de requiem à Rome, j'ai vécu une expérience merveilleuse. Après que l'avion eut percé l'épaisse couche de nuages, un ciel de rêve s'est ouvert, ensoleillé et chaud. Tout simplement beau. C'était une image de l'endroit où le pape Benoît se trouve maintenant : accueilli par la lumière, la chaleur, un amour sans limites ; laissant derrière lui tout le mal, toute la malveillance et l'hostilité.
Quel est votre souvenir personnel le plus précieux du pape Benoît ?
Peter Seewald : Il y en a une infinité. Sa cordialité. Sa simplicité. Son humour. Son courage, sa ligne droite étaient exemplaires. Il a notamment tiré la leçon de l'échec des églises à l'époque du nazisme. Pour lui, c'était clair : plus jamais d'adaptation à l'esprit du temps, au désir d'une masse manipulée, où la vérité est mise à mal.
Après l'apocalypse de la Seconde Guerre mondiale, il a surtout pris à cœur la confession des Églises protestantes d'Allemagne qui, en 1945, s'accusaient "de ne pas avoir confessé plus courageusement, prié plus fidèlement, cru plus joyeusement et aimé plus ardemment". Toute sa vie, Joseph Ratzinger a confessé avec courage, prié avec fidélité, cru avec joie et aimé avec ardeur. Que pourrait-on dire de plus grand sur un successeur du Christ ?
Lors de notre dernière rencontre, le 15 octobre 2022, je lui avais demandé : "Papa Benoît, qu'est-ce qui vous réconforte ?" Sa réponse fut : "Que Dieu garde tout entre ses mains".
[ Signé : Petra Lorleberg sur Kath.Net/News repris par belgicatho ]
PS : Belgicatho ? Blog de réinformation proposé par des laïcs catholiques belges.