« mise en perspective »
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.----. A la demande d’un grand éditeur parisien, l’abbé Grégoire Celier vient de publier un ouvrage consacré à une « mise en perspective » de la position de la Fraternité Saint-Pie X face aux propositions d’accords venant de Rome [ce texte a été publié initialement en mars 2007]. Il nous explique ici à quelles conditions et dans quel but il a accompli ce travail.
M. l’abbé Grégoire Celier, vous venez, en compagnie d’Olivier Pichon, de publier aux éditions Entrelacs un ouvrage intitulé Benoît XVI et les traditionalistes. Comment est né un tel livre ?
Abbé Grégoire Celier : Pour le comprendre, il faut reprendre les faits. Les éditions Entrelacs sont une filiale d’Albin Michel.
C’est bien chez Albin Michel qu’a été éditée, il y a vingt ans, la Lettre ouverte aux catholiques perplexes de Mgr Lefebvre ?
Exactement. Les éditions Entrelacs, voyant l’agitation médiatique entretenue autour du « traditionalisme catholique », notamment depuis la rencontre du 29 août 2005, ont eu l’idée de réaliser un ouvrage sur ce sujet.
Ce livre a été programmé au départ dans une collection qui repose sur la confrontation entre deux interlocuteurs ayant des points de vue différents : par exemple, le premier volume de la collection traite de la question de la drogue et s’intitule de façon claire « Le flic et le thérapeute ».
Dans cette collection, il y a une part de présentation autobiographique et une part, évidemment plus importante, de confrontation d’idées.
Pourquoi les éditions Entrelacs vous ont-elles contacté ?
En fait, je n’ai pas été au départ de cette affaire. C’est à Olivier Pichon, alors directeur de la revue Monde et Vie, que les éditions Entrelacs ont proposé ce projet. Il lui était demandé de chercher un deuxième protagoniste, représentant un point de vue différent, voire opposé.
Or, lorsque j’enseignais à l’école Saint- Michel de Niherne, j’avais eu l’occasion de rencontrer Olivier Pichon, alors professeur d’histoire. Il avait suivi de loin ma « carrière », il a estimé que je pouvais présenter de façon convaincante le point de vue de la Fraternité Saint-Pie X, il m’a donc proposé de participer à ce projet.
Et vous avez accepté ?
J’ai averti mes supérieurs de cette proposition. C’était une occasion, à travers la « grosse machine » d’Albin Michel (qui fait partie des dix plus importants éditeurs français), de nous adresser à un large public que nous n’atteignons pas ordinairement. Les supérieurs de la Fraternité Saint-Pie X ont estimé que l’affaire méritait d’être tentée, qu’il était utile d’essayer de présenter de façon organique la position de la Fraternité Saint-Pie X.
Mais, afin de conserver leur entière liberté sur cette question des accords, afin de ne pas se trouver « liés » malgré eux par telle réflexion plus personnelle, ils ont souhaité que ce livre paraisse sous ma seule responsabilité, sans engager ex professo la Fraternité Saint-Pie X. En un mot, ce livre n’est ni officiel, ni officieux, mais il est autorisé à paraître par mes supérieurs, après lecture évidemment.
A qui avez-vous destiné ce livre ?
Comme je viens de le dire, cet ouvrage a été conçu et écrit d’abord pour le grand public, celui qui ne connaît de la Tradition catholique que les caricatures propagées par les médias. Bien sûr, les fidèles de la Tradition le liront avec profit, mais en se gardant d’oublier qu’il est dirigé d’abord vers des personnes qui ignorent qui nous sommes et gardent des préjugés à notre encontre.
Les fidèles de la Tradition qui me feront l’honneur de me lire ne devront donc pas s’étonner, par exemple, de me voir répondre à des objections en soi faciles voire enfantines, auxquelles il a été répondu depuis longtemps : car le public visé est très sensible à ces objections et, malheureusement, ignore à peu près tout des réponses déjà données.
Olivier Pichon, pour sa part, ne partage pas les positions de la Fraternité Saint-Pie X ?
Le principe de la collection étant celui d’une confrontation, mon interlocuteur a forcément une position différente de la mienne. Sa position, Olivier Pichon l’a clairement exposée dans un entretien à la revue (tendance Ecclesia Dei) Le Baptistère de novembre 2006 : « Dans ce livre, j’exprime l’idée que l’histoire ne repasse pas les plats et que le pape Benoît XVI représente une divine surprise pour les milliers de fidèles déroutés par les évolutions de l’Église et de la société. C’est pourquoi je dis aussi dans ce livre que ceux qui refusent encore un accord risquent d’être frappés du « syndrome de l’anneau du Pêcheur » ». Bref, Olivier Pichon prône la conclusion rapide d’accords entre Rome et la Fraternité Saint-Pie X.
Ce qui n’est pas la position de la Fraternité Saint-Pie X…
Et ce n’est pas non plus la mienne. J’expose au contraire le processus fixé par Mgr Fellay : d’abord les deux préalables (liberté de la messe traditionnelle et levée des excommunications) ; ensuite les discussions doctrinales amenant à un réel retour de Rome vers sa propre tradition ; et alors seulement intervient l’accord pratique rendant à la Fraternité Saint-Pie X sa pleine visibilité canonique.
Ce qui m’a intéressé dans l’affaire, c’était notamment de pouvoir réaliser cette mise en perspective des positions de la Fraternité Saint-Pie X par rapport aux propositions romaines d’accords, sans oublier la réponse à une foule de préjugés qui circulent à notre propos.
Le livre comprend trois parties, intitulées « Présent », « Passé » et « Futur ». Pouvez-vous nous expliquer sa démarche ?
La première partie a pour but de poser le problème. Elle démarre avec la rencontre du 29 août 2005 et les réactions de la presse internationale. Puis, selon l’esprit de la collection, arrive la présentation autobiographique des deux protagonistes.
Olivier Pichon et moi-même avons notamment voulu y souligner comment, l’un et l’autre, comme tous les hommes de notre génération, nous sommes marqués par les conséquences de Vatican II et de Mai 68.
La deuxième partie, en revanche, revient sur le passé.
Il m’a semblé fondamental d’expliquer la genèse de la crise actuelle et de l’apparition du « traditionalisme ». Sans ce retour vers le passé, le présent est à peu près inintelligible. Que comprendre de l’agitation récente sur la possible libéralisation de la messe traditionnelle, sans raconter comment cette messe a été violemment et illégalement interdite en 1970 ?
Donc, en cette partie, deux chapitres exposent l’histoire du concile Vatican II, donnent des éléments d’appréciation et expliquent nos principales critiques à son encontre. Deux chapitres racontent l’histoire de la Fraternité Saint-Pie X et, plus généralement, de la « Résistance catholique », avec notamment la condamnation illégale de 1975 et les sacres de 1988. Deux chapitres, enfin, traitent de la question liturgique, avec la démonstration de l’enracinement de la liturgie traditionnelle dans l’histoire de l’Église, le déroulement de la réforme liturgique, la manifestation de ses déviations, et l’explication de notre rejet de cette nouvelle liturgie.
La troisième partie du livre est donc intitulée « Futur ». Son contenu est, à certains égards, assez inattendu.
La partie intitulée « Passé » est sans grande surprise. Elle propose un résumé des énoncés classiques du « traditionalisme ». En revanche, la troisième partie constitue une nouveauté littéraire : j’ai essayé d’y réaliser une présentation systématique de tout ce qui constitue nos rapports avec Rome, notamment en ce qui concerne les fameux « accords ».
Sans doute, nous avons sur ce sujet quelques textes de Mgr Lefebvre, et surtout plusieurs interventions majeures de Mgr Fellay. Mais ces écrits sont en général fragmentaires et circonstanciels. J’ai relu ces textes et en propose une synthèse agrémentée de réflexions personnelles.
On remarque qu’Olivier Pichon, jusqu’ici assez réservé, devient beaucoup plus offensif.
C’est normal. Dans la partie qui raconte l’histoire de la crise de l’Église, c’est moi, le prêtre, éditeur notamment de la biographie de Mgr Lefebvre, qui connaît le mieux le sujet. En revanche, dans la dernière partie, nous sommes au coeur de la controverse.
Il ne s’agit plus d’événements passés, mais de choix actuels et futurs et, bien évidemment, Olivier Pichon défend sa propre vision, c’est-à-dire la nécessité d’accords à court terme.
Comment est organisée cette présentation de la question des accords ?
Le premier chapitre, intitulé « Triangulation », traite des « préalables », à savoir la liberté pour tout prêtre de célébrer la messe traditionnelle, et la levée des prétendues excommunications de 1988 frappant les quatre évêques auxiliaires de la Fraternité Saint-Pie X. Ce chapitre rappelle les trois parties de notre attitude ecclésiale (d’où l’image d’un triangle) : nous sommes totalement catholiques ; nous ne sommes qu’une modeste partie de l’Église ; mais, par la Providence, nous conservons actuellement des biens spirituels essentiels qui ont pour vocation de retrouver leur place dans l’Église.
Voulant parcourir le chemin inverse de l’injuste condamnation de 1975, et parce que celle-ci a commencé par un mépris général de la tradition, la Fraternité Saint-Pie X a proposé deux préalables, comme moyen de restaurer dans l’Église un climat d’estime pour la tradition.
Le deuxième chapitre s’intitule, de façon à la fois énigmatique et amusante, « Messe pipaule ». Quel est le sens de cette expression ?
Il ne faut pas déflorer le livre. Ce titre est expliqué au cours de cette partie, j’y renvoie les lecteurs. Ce chapitre, en fait, traite des discussions doctrinales, comme moyen pour que le Siège apostolique donne enfin ce sérieux coup de barre vers la tradition, qui est la condition absolue pour que la Fraternité Saint-Pie X puisse envisager quelque accord que ce soit.
Je rappelle à ce moment-là que je ne suis pas devin, que je ne peux donc décrire ni le contenu ni le déroulement de ces discussions. Mais j’essaie de montrer, à travers quelques exemples historiques, qu’il serait possible dès aujourd’hui d’avancer dans ces discussions et d’envisager ce sérieux coup de barre, si seulement le Siège apostolique en montrait la volonté.
Ce chapitre, sans doute le plus novateur, est très riche. Vous y proposez notamment des perspectives d’avenir étonnantes, voire détonantes.
En prolongeant certaines évolutions actuelles, je me permets de soumettre quelques vues prospectives sur ce qui pourrait se passer durant les cinquante prochaines années. C’est un exercice d’imagination, mais il permet de mieux comprendre ce que nous constatons aujourd’hui. J’explique aussi comment je comprends « l’expérience de la tradition », dont je rappelle qu’elle ne sera possible qu’après le sérieux coup de barre vers la tradition, et à condition d’exclure tout sens libéral à cette expression de Mgr Lefebvre.
Après ce chapitre étonnant et foisonnant, vous arrivez en quelque sorte à votre conclusion, en un chapitre intitulé « Fable du héron ».
Ce chapitre a pour but de répondre à l’objection centrale d’Olivier Pichon : « C’est maintenant qu’il faut signer, car l’élection du pape Benoît XVI est pour vous une chance historique ; si vous ne signez pas aujourd’hui, ne risquez-vous pas de tout perdre ? »
Je rappelle donc l’histoire des accords précédents et leurs conséquences, notamment l’abandon d’une partie essentielle du combat doctrinal. Je redis que tant que Rome roulera pour Vatican II, il sera insensé de conclure quelque accord que ce soit, Rome étant beaucoup plus forte que nous. Je montre qu’en menant depuis trente-cinq ans le combat de la foi, nous avons déjà obtenu un certain nombre de choses, et qu’en le poursuivant, nous obtiendrons avec l’aide de Dieu tout ce dont l’Église a besoin.
On est un peu surpris, après ce chapitre où vous avez répondu à la question posée au début du livre, de vous voir repartir dans une discussion qui n’a que peu de rapports avec l’ouvrage, puisqu’il s’agit d’un ramassis de critiques portées contre la Fraternité.
Il est exact que cet ultime chapitre s’écarte pour partie de la question des accords. Cependant, il en réalise une sorte de contreépreuve : c’est l’occasion de reprendre les mêmes thèmes sous un angle différent. Ce chapitre a été souhaité par Olivier Pichon et, à travers lui, par l’éditeur. L’idée était de revisiter les principales objections portées contre la Fraternité Saint-Pie X, et d’y répondre succinctement.
Certes, il s’agit un peu d’un fourre-tout, mais cela permet de montrer que nous n’avons pas peur de la critique et, surtout, que cette critique est largement infondée. Ce dernier chapitre me donne également la possibilité de revenir sur certains principes fondamentaux.
Ce dernier chapitre de votre ouvrage ne manifeste-t-il pas les dangers de tout livre d’entretiens ? En effet, il y a grand risque d’y être entraîné, fût-ce contre son gré, sur le terrain même de l’interlocuteur, avec les inconvénients et les dommages qui peuvent en découler.
Pour participer à ce projet, je me suis inspiré du livre d’entretiens que Mgr Lefebvre a réalisé avec le journaliste José Hanu, et qui a été publié en 1977 aux éditions Stock (filiale des éditions Hachette) sous le titre Non… mais oui à l’Église catholique et romaine.
Dans l’avant-propos qu’il a donné à cet ouvrage, Mgr Lefebvre a répondu sans détour aux objections qui peuvent être faites concernant la participation, avec un journaliste, à un livre d’entretiens. Je fais entièrement miennes ses paroles, qui m’ont guidé et éclairé : « Ce livre se présente comme un entretien. L’initiative en est due à José Hanu. (…) Lorsqu’il m’a demandé mon accord, je n’ai pas estimé devoir le lui refuser. Ne dois-je pas saisir les occasions de prêcher la vérité ? Comme tous les genres littéraires, celui de l’entretien a ses lois et ses limites. Les questions ne peuvent pas ne pas influencer les réponses, ne serait-ce qu’en leur donnant un cadre. (…) Dans cet ouvrage, l’orientation générale a été donnée par José Hanu. Si j’avais voulu raconter moi-même ma vie, je n’aurais sans doute pas retenu les mêmes faits, ni insisté sur les mêmes points. Néanmoins, j’assume, dans ces limites, l’entière responsabilité de mes réponses et j’espère ainsi contribuer à l’extension du Règne social de Notre Seigneur Jésus-Christ, qui reste mon seul but ».
Ce texte semble parfaitement clair.
Je voudrais y ajouter un autre texte, pour répondre plus précisément à votre question portant sur cet ultime chapitre de mon livre, chapitre qui rassemble donc une série de critiques contre la Fraternité Saint-Pie X (avec des réponses de ma part, évidemment).
A cette remarque de José Hanu : « Certaines de mes interrogations vous paraîtront sacrilèges… », Mgr Lefebvre répondit avec bon sens : « Aucune question n’est sacrilège si elle n’implique pas d’affirmations blessantes à l’égard de Dieu !»
Si Mgr Lefebvre a accepté, pour lui-même et pour son oeuvre, d’affronter les objections et les critiques d’un journaliste (et d’y répondre), il m’a semblé licite de le faire à mon tour et dans son sillage.
A la toute fin de votre ouvrage, après ce chapitre de critiques, vous reparlez des accords, en une conclusion « spirituelle ».
Dans les dernières lignes du livre, je rappelle que je crois à une réconciliation, non par des manœuvres savantes ou des « magouilles » humaines, mais à cause de l’espérance invincible que nous avons en l’Église.
Rome étant malheureusement encore engagée dans les erreurs du Concile, la situation reste très difficile. Je ne donne donc aucune date ni aucun délai pour des accords.
Mais je dis mon attente (surnaturelle) que cela se fasse « en un jour moins éloigné qu’il ne paraît ». Et c’est pourquoi ce dernier chapitre s’intitule« Espérance ».
[ Grégoire Celier 6 Publié le 1 février 2007 ]