Une oration essentielle de la deuxième guerre mondiale
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.----. Nous proposons ici un rapide commentaire des idées essentielles du livre le plus important d’Histoire militaire paru en 2019, Barbarossa de Jean Lopez. Barbarossa est le nom de code, en latin médiéval, choisi par Hitler, d’après le surnom de l’empereur Frédéric Barberousse, grand empereur allemand de la seconde moitié du douzième siècle, de l’invasion de l’URSS par l’Allemagne et ses alliés, de la Finlande à la Roumanie. On se demande toujours l’explication profonde de ce nom mystérieux, mais ce nom en vaut bien un autre.
Jean Lopez est un auteur sérieux, qui a travaillé avec les archives allemandes et soviétiques. Il dirige la revue d’Histoire militaire Guerre et Histoire. Seulement, il n’est hélas pas du tout de nos amis politiques. Mais ce qu’il propose en analyse et vision historiques reste globalement fort juste. Toutefois, le ton convenu de certaines pages peut agacer à juste titre.
Dans la droite radicale européenne est souvent répandue l’image d’une Allemagne hitlérienne paneuropéenne, philanthrope, socialisante, qui aurait mené une guerre désintéressée de libération des peuples de l’URSS du Communisme : ce n’est tout simplement pas vrai, ce qui explique largement l’échec de Barbarossa et ses suites.
Le militant doit rechercher et connaître la vérité historique, afin de ne pas renouveler les erreurs passées. Précisément, les Allemands ont échoué à l’Est car ils ont dressé contre eux toutes les populations non-russes d’URSS occidentale, pourtant initialement très favorables, en particulier les Baltes et les Ukrainiens, et bien sûr les Russes. Les Russes étaient a priori certes hostiles, mais pas inconciliables pour autant en 1941, car l’invasion allemande aurait pu correspondre avant tout à une libération du communisme stalinien. Ce ne fut donc pas du tout le cas, et Staline a eu la cynique habileté à l’été 1941 de se présenter comme le champion de la Nation russe luttant pour sa survie et son indépendance -soit un comble pour un communiste géorgien !-, ce qui a parfaitement fonctionné à l’époque ; aujourd’hui encore, il est célébré à ce titre dans la Russie de Poutine.
Jean Lopez propose donc avec Barbarossa un petit pavé d’un peu moins de 1000 pages, dimension justifiée par le sujet, un moment décisif de l’Histoire de l’Europe et du Monde. Il développe une présentation et interprétation fondamentalement pertinente des opérations militaires et des conduites politiques des acteurs majeurs de ce théâtre d’opérations, avec une vraie vision en profondeur des deux camps en question.
JEAN LOPEZ, L’HISTORIEN FRANÇAIS MAJEUR DU FRONT DE L’EST
Depuis les années 2000, Jean Lopez a renouvelé la compréhension du conflit germano-soviétique (1941-1945), à l’évidence un des fronts essentiels de la deuxième guerre mondiale, et à l’étude sérieuse négligée jusque-là en France. La Guerre Froide (1947-1991) avait imposé deux lectures fausses, celle de l’OTAN, écrites par les généraux de la Wehrmacht réemployés par le protecteur états-unien dans les années 1950, assurant qu’ils auraient gagné à l’Est, du fait de leur excellence professionnelle, sans les ordres absurdes et intempestifs de Hitler, et celle du camp communiste, chantant sans nuances les louanges de l’armée soviétique, qui aurait vaincu Hitler toute seule et « libéré » toute l’Europe au besoin, sans les États-Unis ou le Royaume-Uni.
Les deux thèses sont mensongères. L’URSS a tenu en 1942, et vaincu par la suite, grâce aux livraisons américaines massives, via l’Iran occupé, en particulier d’essence et de conserves alimentaires, qui ont permis à l’armée soviétique de lancer de grandes offensives motorisées, et de nourrir l’armée et la population. Sans ces livraisons, l’URSS aurait connu famine et paralysie opérationnelle. Le front serait resté sur la Volga inférieure, ou le Don, de 1942 à 1945. Soit à peu près la situation du Front de l’Est en novembre 1918, ce qui n’avait pas empêché pour autant la défaite allemande à l’Ouest. Cette vérité était donc indicible après 1945, l’URSS ne pouvant avouer avoir été sauvée par les États-Unis, ni les États-Unis avouer cette erreur rétrospective très claire après 1947-1948 et la Guerre Froide. L’Allemagne aurait pu être vaincue [certes mais sans certitude, ajouterions-nous] à l’Ouest ou en Méditerranée sans ce soutien soviétique, qui a eu des conséquences absolument majeures de façon directe pour tout l’Est de l’Europe, et indirectes à l’Ouest –prestige du Communisme en France ou en Italie-, et vraisemblablement en Asie de l’Est et du Sud-Est, de la Chine au Vietnam.
Jean Lopez ajoute, et il y tient beaucoup, l’excellence particulière des théories militaires en URSS, le fameux « art opératif » élaboré dans les années 1920-1930 par Svetchine. Elles auraient permis, une fois le niveau du corps des officiers remonté, avec une compétence intellectuelle et technique nouvelles, de vaincre l’Allemagne à l’Est. Des opérations en profondeur ont en effet permis l’exploitation efficace des grandes percées obtenues en 1944-1945. Cette vision comporte une part de vérité, même si nous nous méfions des grandes théories militaires spéculatives par principe.
BARBAROSSA, UN PARI TROP OPTIMISTE POUR HITLER
Hitler a espéré obtenir une victoire décisive sur l’URSS en 1941. En supposant l’URSS vaincue, outre l’effet de la disparition de toute menace à l’Est, l’Allemagne aurait bénéficié d’une profondeur stratégique énorme, de ressources de matières premières et énergétiques considérables, ainsi que de terres cultivables –en Ukraine en particulier-. La domination allemande sur l’Europe aurait été considérablement affermie, et l’Allemagne aurait bénéficié des ressources indispensables à une guerre longue. Ces dernières, à commencer par le pétrole -dans le Caucase et à Bakou-, ont considérablement manqué en effet à l’Allemagne à partir de 1944, et expliquent en partie la défaite finale ; des milliers de chars et d’avions n’ont plus disposé de carburant dans les derniers mois.
Toutefois, sur le court terme, le 22 juin 1941, Hitler a pris le risque d’attaquer un ennemi seulement potentiel. Certes, il existait au printemps 1941 des plans de guerre de l’armée soviétique contre l’Allemagne, mais c’est la fonction de toute armée sérieuse que de travailler à une guerre éventuelle. Staline n’a pas eu semble-t-il l’intention d’envahir l’Europe centrale sous domination allemande au printemps 1941.
Pourtant, qu’aurait fait Staline au printemps 1942, en l’absence d’attaque allemande un an plus tôt ? Il est très difficile d’assurer de son respect dans la longue durée du Pacte Germano-Soviétique d’août 1939. Il y a eu en fait des tensions assez fortes à l’automne 1940 et au début du printemps 1941 entre Allemagne et URSS, au sujet des Balkans en particulier. La décision de Hitler a été moins absurde qu’il n’a été coutume de le dire après-coup, même si c’est encore plutôt la thèse du livre, faible sur ce plan.
Ce qui est vrai par contre est l’échec complet du renseignement militaire allemand, sous-estimant complètement la valeur de l’armée soviétique, des effectifs aux quantités de matériels disponibles, en fait absolument énormes pour l’époque, en particuliers pour les chars de combats, aux types équivalents à ceux alignés par les Allemands, voire très supérieurs –comme le fameux T-34-.
Aussi, sur la base de ces renseignements erronés, a-t-il été planifiée par la Wehrmacht, avec beaucoup d’interventions personnelles de Hitler certes, mais un optimisme assez largement répandu parmi les officiers supérieurs, une campagne de trois mois au plus, l’armée soviétique devant être battue dans l’Ouest du pays avant fin septembre 1941 au plus tard. Or, les 3 millions d’hommes de l’armée soviétique ont été renouvelés au moins 3 fois au cours de l’année 1941, tout comme les matériels, chose absolument pas envisagée à Berlin avant la campagne. Les 3 millions d’assaillants, pourtant vainqueurs sur le terrain sur les premiers mois, ont vu par contre leurs effectifs et matériels constamment érodés, sans remplacements suffisants. Et les centaines de milliers de soldats alliés de l’Allemagne n’ont pas disposé de la motivation, de l’entraînement ou du matériel -même pour les meilleurs, les Finlandais-, à la hauteur du conflit.
BARBAROSSA, UNE SÉRIE DE DÉFAITES IMPORTANTES POUR L’ARMÉE SOVIÉTIQUE ET UN EFFONDREMENT LOGISTIQUE ALLEMAND
Ainsi, aucun des objectifs opérationnels principaux (Leningrad, Moscou, Rostov) de la Wehrmacht n’a été pris ou conservé en décembre 1941. Est-ce du fait de l’excellence de l’armée russe ?
Non, des erreurs militaires énormes ont fait perdre des millions d’hommes, prisonniers ou tués, en particulier lors de grandes batailles d’encerclement, nombreuses sur la route de Moscou, via Smolensk. Les batailles de l’été 1941 et ont été menées beaucoup trop à l’Est, sans exploiter la profondeur du territoire soviétique. Des ordres de replis bien trop tardifs ont été adressés aux unités encerclées, expliquant en particulier le désastre de Kiev en septembre 1941. La stratégie de Terreur de Staline a paralysé les décisions des militaires. Dans les unités, beaucoup d’officiers à cause des assassinats massifs opérés à partir de 1937 par le régime, et des recrutements de masse dans une population encore peu éduquée, n’ont pas eu le niveau requis pour commander leurs hommes. Ce manque de qualification a été particulièrement dramatique dans l’aviation, car être pilote de guerre ne s’improvise absolument pas.
Les moyens consacrés à l’invasion de l’URSS en 1941, reflet de l’optimisme général excessif de la Wehrmacht –et pas du seul Hitler-, ont été trop limités. Nous ne détaillerons pas ici, mais ils sont équivalents à ceux consacrés à l’invasion de la France au printemps 1940, soit bien trop peu pour l’URSS. Les distances immenses, même dans la seule partie occidentale de ce pays immense, ont empêché de concentrer l’effort sur une des trois objectifs principaux, Leningrad, Moscou, Rostov. Rostov a été prise en novembre 1941 et perdue immédiatement après. Leningrad a failli être prise en septembre 1941. Moscou n’a pas été vraiment menacée, du moins de façon immédiate, les avant-gardes allemandes épuisées n’ont réussi à atteindre que la très grande banlieue occidentale de la capitale soviétique.
Le problème logistique a été très gravement sous-estimé, d’où plusieurs épisodes de paralysie des colonnes attaquantes, absolument plus ravitaillées. Des occasions importantes de victoires tactiques voire stratégiques ont été perdues de ce fait, ou des désastres auraient pu avoir lieu dans l’hypothèse d’un adversaire mieux inspiré. Le symbole le plus connu est les effets d’hiver n’arrivant pas en décembre 1941, mais le problème logistique a été général dès septembre 1941. Il aurait pourtant été possible de l’anticiper en considérant la médiocrité du réseau routier soviétique ou de l’écartement différent des chemins de fer, empêchant de ce fait la circulation des trains de ravitaillement allemands.
Sur le plan opérationnel, la Wehrmacht aurait mieux fait en septembre 1941, ou en novembre, de concentrer son effort principal sur Leningrad, au lieu de préparer puis lancer l’assaut sur Moscou. Une prise de Leningrad à la fin de 1941 aurait eu des conséquences opérationnelles et politiques majeures, assurant à l’Allemagne un contrôle total de la Mer Baltique et des liaisons terrestres simples et directes avec la Finlande. La défaite aurait été majeure pour Staline, affaiblissant peut-être le moral soviétique pour 1941-1942, au contraire de la victoire défensive historique de Moscou. Hitler et ses généraux auraient pu y penser ; il était plus que probable, sinon évident, que le gros de l’armée soviétique devait défendre Moscou, et qu’il n’était plus possible d’encercler la ville et encore moins de la prendre d’assaut en novembre 1941, avant la venue de l’hiver paralysant les opérations offensives majeures.
Ainsi, à l’hiver 1941-1942, l’armée soviétique, malgré des pertes énormes, n’a pas été détruite. Aucun des trois objectifs principaux n’a été atteint. Faut-il pour autant en conclure à la fatalité de l’échec allemand dans toute la guerre dès décembre 1941 ? C’est un peu trop facile, relève de la lucidité rétrospective, car l’on connaît évidemment la suite.
Au-delà d’un bilan militaire mitigé, car les pertes territoriales et en effectifs soviétiques ont été énormes -peut-être 4 millions d’hommes-, il y a eu surtout un échec politique. L’invasion allemande n’a offert aucune perspective de liberté crédible pour des peuples soumis jusque-là à une des pires tyrannies de l’Histoire, celle de Staline.
BARBAROSSA, UN ÉCHEC POLITIQUE DE L’ALLEMAGNE !
L’échec de Barbarossa, l’échec complet sur le temps de la guerre, et pas simplement le fait d’avoir manqué à l’automne 1941 de prendre Leningrad, Moscou, Rostov, a été causé par un mauvais traitement politique des populations occupées par l’Allemagne.
Lopez mentionne longuement les massacres de Juifs, effectués par la Wehrmacht, la SS, ou les milices locales collaborant avec l’Allemagne. Or, il a l’honnêteté de le reconnaître, la haine des Juifs, associant Juifs et Communistes, était la chose la mieux partagée entre nouveaux occupants et occupés, et ce point n’aurait posé aucun problème politique majeur auprès des populations occupées. Ce qui a posé immédiatement problème a été le mauvais traitement des prisonniers de guerre soviétiques, morts en masse de faim et de froid, et la répression dure des quelques bandes de partisans locaux. Chose voulue par les communistes, elle a dressé les populations contre l’occupant, avec le cycle vicieux des attentats et des représailles massives.
Au-delà de la maladresse politique, il y a une négligence militaire majeure : ne pas avoir planifié de nombreuses divisions, plusieurs dizaines, pour l’occupation d’un vaste territoire. Avec toutes les forces en première ligne, ou devant s’y rendre rapidement, les quelques divisions de répression, souvent issues de la SS, ont été incapables de tenir les vastes espaces et les populations entre la Pologne et Moscou. Il aurait pourtant seulement fallu songer à l’expérience de la première guerre mondiale, avec plus d’un million d’hommes des armées allemandes et austro-hongroises occupant le vaste territoire conquis à Brest-Litovsk (mars 1918) de l’Estonie à la Crimée.
Ainsi, l’Allemagne n’a pas proposé une indépendance au moins formelle aux populations non-russes, qui espéraient la retrouver, soit principalement les trois pays baltes -Estonie, Lettonie, Lituanie- et les Ukrainiens, et, dans une moindre mesure, les Biélorusses. L’Allemagne de 1918 avait su le faire, en promouvant notamment un gouvernement et une administration ukrainiennes satisfaisant les besoins de l’occupant et les aspirations nationales ukrainiennes, au moins en apparence.
Il n’en a été aucunement question à l’été et l’automne 1941. L’administration soviétique a été remplacée par une administration d’occupation allemande, mais sans aucune satisfaction, au moins symbolique, des aspirations nationales. La déception a donc été très vive. L’idée dominante à Berlin, en particulier dans la SS, était de transformer les pays baltes et ukrainiens en espaces de colonisation germanique, avec des populations locales strictement soumises, à assimiler ou expulser sur le long terme -suivant des critères de race et de loyauté-. Il en est résulté des traitements durs des populations en question, d’où une hostilité assez systématique en retour.
Une autre politique, beaucoup plus habile, reprenant celle de 1918, aurait été possible. C’était celle prônée par un des idéologues de la NSDP, Rosenberg, Allemand de la Baltique, un des rares bons connaisseurs de l’URSS, théoriquement ministre des territoires occupés à l’Est, mais totalement dépourvu dans les faits de pouvoir réel. Rétrospectivement, c’est très dommage.
BARBAROSSA, UN ÉCHEC DÉCISIF POUR L’AXE
Barbarossa a été un échec opérationnel à l’hiver 1941-1942, et surtout un échec politique, faute de propositions acceptables de l’Allemagne aux populations libérées de l’oppression stalinienne. On ne peut que regretter cet échec, causé fondamentalement par un racisme plus que douteux entre Européens, avec un mépris hostile des Germains pour les Slaves. Forcément, ces derniers l’ont très mal pris. On reste étonné de cette attitude, nous qui sommes confrontés au quotidien en 2020 à bien d’autres choses que des Biélorusses ou des Ukrainiens, d’excellents Européens aussi fondamentalement. Il en est résulté une lutte sur plusieurs fronts, dans la durée, impossible à gagner par l’Allemagne, et ce dès l’automne 1942. Il y aurait peut-être eu une petite fenêtre politique pour corriger les choses en URSS occupée en 1942 ; le problème est que des velléités dans ce sens sont venues bien trop tard, à l’automne 1943, manifestement au moment du début de la débâcle des armées allemandes à l’Est, donc incapables à ce moment de séduire les populations concernées.
Barbarossa de Jean Lopez est désormais la référence sur le sujet, et est à lire pour tout curieux d’Histoire de notre continent.
Scipion de SALM [ Le 29 juillet 2020 repris de Rivarol sur le site de " Jeune Nation " Contributeur externe de Jeune Nation, Scipion de Salm est journaliste rivarolien, historien et militant nationaliste. ]