Le millénaire médiéval est en musique un Janus à deux visages : l'un de tradition, l'autre de modernité ; l'un, ouvert au monde, l'autre, replié sur l'Occident. En amont, la monodie grégorienne regarde vers le passé - ou l'intemporalité - de la tradition : venue d'Orient, elle ne sera notée que tardivement et aura, jusque vers 1300 et au-delà, d'importants prolongements, tant liturgiques que profanes. En aval, la polyphonie, bouture pousséesur le tronc grégorien, utilise l'écriture pour se rationaliser et amorcer, depuis l'an mil, une évolution d'où naîtra, à l'avènement des Temps modernes, notre "musique classique".
Chant liturgique, écriture et polyphonie sont l'affaire des clercs. En marge de la pratique, ces derniers s'adonnent à une réflexion théorique héritée de l'ancienne philosophie pythagoricienne : en l'Harmonie - musicale, cosmique -, ils admirent l'immanence du Nombre, principe d'une beauté qui est sagesse. D'autre part, au château ou sur la place publique, le jongleur illettré chante de mémoire et d'oreille les vers d'une canso troubadouresque ou d'une geste épique, quand il ne scande pas sur sa vièle un joyeux air de danse. Comme le chantre à l'église, il s'approprie la consonance, dont, au Ciel, l'"harmonie des sphères" et les hymnes angéliques recèlent la quintessence.
Dans ce B.A.B.A de la musique médiévale, l'auteur, musicologue universitaire, dépasse l'optique bornée d'un historicisme étroit. Il éclaire les enjeux idéologiques, sociologiques, esthétiques d'un patrimoine artistique séculaire, et dégage les résonances vivifiantes qu'ils ont dans le paysage culturel d'aujourd'hui. L'exposé, accessible à un large public, n'en intéressera pas moins les spécialistes par l'originalité de la perspective, ainsi que par l'étendue et la précision de l'information.