Le dilemme du "non lecteur"
5/5 L'Homme Nouveau
.----. Beaucoup de gens, et les problèmes de dyslexie provoqués par la méthode globale n'ont fait, ces dernières décennies, qu'aggraver le phénomène, ne lisent pas, ou très peu. La lecture, loin d'être pour eux un loisir et un plaisir, se révèle d'un assommant ennui.
C'est en songeant à cette population de « non-lecteurs », que les éditeurs ont tenté de proposer des ouvrages faciles, souvent dépourvus d'intérêt littéraire mais aux intrigues assez attractives pour inciter à tourner la page. La machine a engendré quelques sérieux bénéfices, à défaut d'élever le niveau intellectuel et moral du public visé. Puis l'on s'est aperçu de l'émergence d'une nouvelle catégorie de « non lecteurs », plus gravement atteinte que la précédente, puisque rebutée sans remède par le livre classique. C'est à elle, entre autres, que s'adresse un nouveau genre, très en faveur ces derniers temps, le roman graphique.
De quoi s'agit-il ? Ni plus ni moins que d'une bande dessinée mais plus étoffée que les 48 feuillets des albums standards et permettant, à grand renfort d'images, de transmettre certaines connaissances à ceux qui ne feront jamais l'effort de lire un vrai livre. Faut-il en arriver à privilégier cette forme de littérature et renoncer, du même coup, à ramener ce public à la lecture classique ? Vaste débat que certains éditeurs catholiques ont tranché en tentant d'offrir des romans graphiques de qualité et d'évangéliser par ce biais.
En ce domaine, Au revoir, les enfants ; la véritable histoire du Père Jacques, prêtre, déporté, juste parmi les nations que signent Jean Trolley et Camille W. de Prévaux (Le Rocher ; 135 p .) se révèle une authentique réussite.
Né en 1900 dans un milieu ouvrier, Lucien Bunel entend très tôt l'appel du Christ. Pour devenir prêtre, il accepte sacrifices et humiliations. Cependant, malgré ses succès de prédicateur et d'éducateur, qui font de lui une figure du clergé normand, le jeune homme, mal à l'aise dans la vie séculière, finit par entrer chez les Carmes au couvent d'Avon. Là encore, les épreuves s'enchaînent. C'est finalement en parvenant à associer vie contemplative et vocation enseignante, grâce à la fondation d'un collège adjoint au couvent, que l'abbé Bunel, devenu le Père Jacques, trouve sa voie, avec l'appui de son provincial, le Père Louis de la Trinité, qui sera dans le monde l'amiral Thierry d'Argenlieu.
Blessé par la défaite, indigné par l'Occupation, le Père Jacques et plusieurs de ses frères s'engagent dans la Résistance et font d'Avon, outre une filière d'évasion pour pilotes alliés, un refuge pour les enfants et les enseignants juifs. Dénoncé, arrêté avec ses protégés par la Gestapo, déporté à Sarrebrück au printemps 1944, puis à Mathausen, où, seul prêtre catholique, les autres ayant été regroupés à Dachau, il sera pour ses compagnons d'infortune, l'ultime secours, le Père Jacques se donnera sans compter pour soulager les misères physiques, morales et spirituelles de ses camarades, se privant du minimum vital afin de maintenir en vie les plus faibles. Il en mourra, martyr de la charité, au lendemain de la libération du camp.
Avec la disparition des générations qui ont connu la Seconde Guerre mondiale, se multiplient les ouvertures de causes de béatification de victimes du nazisme. Il est probable que le diocèse du Havre s'intéressera un jour ou l'autre au Père Jacques .
L'homme, incontestablement, est une belle figure, et ses combats spirituels mériteraient que l'on s'y arrête, autant et plus, peut-être, car ils les expliquent, que son héroïsme et son abnégation. Le roman graphique ne se prête malheureusement pas à ce type d'introspection et une vrai biographie reste à écrire.
Bien que romancée, puisque la vie du Père Jacques est racontée à travers l'enquête d'un journaliste des années 50 parti à la recherche « d'un homme, un vrai », l'histoire reste cohérente et proche de la réalité, grâce aux efforts de la scénariste Camille de Prévaux. Les dessins, au graphisme très sobre, parfois très dur, de Jean Trolley, en noir et blanc, évoquent bien l'atmosphère de l'époque. En cela, l'album constitue une vraie réussite.
<p align="right">Anne Bernet le 21 novembre 2019 dans Culture pour L'Homme Nouveau <a href= http://www.hommenouveau.fr/ target=_blank>www.hommenouveau.fr</a>
biographie touchante et édifiante
4/5 https://123loisirs.com/
.----. Dans les années 50, le journaliste Hubert Bonnafous, reporter au "Non-conformiste", mène une enquête sur le Père Jacques, prêtre héros de la Résistance. Son athéisme un peu snob en sortira-t-il intact ? Voici la trame d'une biographie touchante et édifiante, conçue comme un puzzle psychologique pour cerner la personnalité de ce héros, Juste parmi les nations, mort d'épuisement un mois après la libération du camp de Güden où il fut enfermé comme résistant, après Mauthausen.
Retour sur son enfance, sa vocation de prêtre carme, directeur d'école... avant que la guerre et l'Occupation viennent jeter leur "révélateur" sur les âmes. Quand, sur dénonciation, la Gestapo fait une descente à Avon pour emmener les enfants juifs cachés parmi les autres élèves, il est fait prisonnier et quitte le collège sur ces mots : "Au revoir les enfants ! À bientôt !".
Passionnant récit à la fois humain et historique, d'une vie jetée dans la tempête de la guerre.
Des visages très expressifs au cadrage souvent en gros plan pour saisir les nuances de sentiments, ceux des enfants juifs cachés dans le collège d'Avon qu'il a fondé avant guerre, les visages de ses compagnons prisonniers des camps, celui de sa mère...
Au revoir les enfants, le film de Louis Malle sorti en 1987, a mis en lumière ce destin extraordinaire (procès de béatification en cours à Rome).
Ici c'est la vraie personnalité du Père Jacques qui est recherchée, dans toutes ses dimensions, à partir de documents historiques. Le fruit de ce travail de recherche rigoureux est soutenu par un trait fin tout en nuances de noir et blanc, avec une grande cohérence scenario/dessin.
Découvrez ce roman graphique artistique, de format 16,5 x 23 cm, à la couverture souple. Un dossier historique de quelques pages permet d'entrer "dans l'intimité du Père Jacques pleine de tourments, de révoltes, de questions, d'humour, de beauté, même dans les camps".
Pour tous, à partir de 13 ans, afin de saisir toute la profondeur de cet ouvrage sobre et puissant.
Pour aller plus loin, à partir de 15 ans Le Père Jacques d'Alexis Neviasky chez Tallandier.
PS : 123loisirs : Qui sommes-nous ?
Douze lectrices passionnées : Clémence, Sylvane, Hélène, Élisabeth, Gaëlle, Alexia, Isabelle, Stéphanie, Clotilde, Sybille, Aude, Alix et Claire sous la houlette de Valérie. Infirmières, enseignantes, bibliothécaires, éducatrices, elles mettent leurs compétences au service des lecteurs. De jeunes critiques lisent les livres en avant-première et donnent leur avis