La vie et l’oeuvre de ce lutin malicieux
4/5 Présent .
.----. Il doit y avoir peu de personnes qui, un jour où l’autre, n’aient dansé sur Blueberry Hill,
slow emblématique porté par la voix d’un petit bonhomme black et rond qui swingue
comme personne : Antoine « Fats » Domino, le fats étant là pour marquer son apparence
rondouillarde entretenue par un amour de la cuisine de Louisiane.
Mais, en France du moins, il y aurait peu de personnes pour aller au-delà (sinon avec I’m
Walkin, Hello Josephine ou Ain’t That A Shame) de cette « colline de myrtilles » qui fit nos
délices dans les années soixante. Et pour cause ; il n’existait pas, jusqu’à ce jour, un livre
en français – et écrit par un Français – pour raconter la vie et l’oeuvre de ce lutin
malicieux, l’un des plus illustres artistes louisianais du siècle dernier.
Cette saga nous est racontée par Jean « Edgar » Prato qui est l’un des meilleurs
spécialistes français de la musique outre-Atlantique. Le « plus » de ce livre, c’est que ce
n’est pas un livre pour érudits, un livre pour coupeurs de cheveux en quatre capables de
vous faire une thèse sur les ressemblances et les différences entre le zydeco, le dixieland
et le rhythm & blues, mais l’ouvrage d’un amoureux de ce Sud fertile, chaudron
débordant d’art de vivre, melting-pot de cultures brassées, terreau fertile et jamais tari.
Jean « Edgar » Prato ne parle pas d’Antoine « Fats » Domino ex cathedra, par ouï-dire. Il
l’a rencontré, il l’a côtoyé, il l’a interviewé vingt fois, il l’a vu cent fois en concert, il a
partagé avec lui de pleines marmites de jambalaya. Le résultat est là : un livre charnel,
vécu, évocateur, qui vous fait tricoter les gambilles, qui vous emplit l’âme de bonheur et
les narines de jambalayas de poulet, d’andouille et de crevettes, de gombos de canard,
d’huîtres et d’artichauts, d’étouffées de homard, de poivrons farcis au crabe, de porc à la
créole, etc.
Car, par-delà l’histoire de « Fats » Domino (aujourd’hui âgé de 83 ans), Jean « Edgar »
Prato parle de ses prédécesseurs, de ses contemporains et de ceux qui peuvent, à des
degrés divers, se réclamer de l’héritage. Quelques noms ? C’est tout le gotha blues,
dixieland, brass bands, cajun, zydeco, country, rock, rythm & blues qui défileraient :
Floyd Soileau, Lionel Hampton, Jerry Roll Morton, Mahalia Jackson, Louis Armstrong,
Sydney Bechet, Little Richard, Jimmy C. Newman, Chuck Berry, Buddy Holly, Doug
Sahm, Gene Vincent, Rick Nelson, Clifton Chenier, Johnnie Allan, etc.
Prato écrit : « Avec son air malin et rusé, semblant passer inaperçu sur scène comme en
disque, il a réalisé une révolution musicale magistrale dans l’art d’accommoder à son
rythme des multitudes de gens posés aux quatre coins du globe. Dans sa musique
binaire, d’apparence simpliste, chaleureuse et épicée digne de sa Louisiane natale, c’est toute
une invitation à le suivre, à chanter, danser, battre le Big Beat au pied de son piano qu’il
nous dicte. »
Comme on dit en Louisiane, « Laissez le bon temps rouler » et lisez ce livre bourré
d’informations : c’est une véritable cure de santé ! [ Signé : Alain Sanders dans " Présent ", n°7518 du samedi 14 janvier 2012 ]