Cheville ouvrière de la réforme liturgique
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.----. Yves Chiron vient de consacrer un livre à celui qui fut la cheville ouvrière de la réforme liturgique et en quelque sorte l’inventeur de la messe dite « de Paul VI », Mgr Annibale Bugnini. Une occasion de revenir sur ce qui a été une véritable révolution spirituelle au XXème siècle.
A l’origine de tout, il y a un homme, un organisateur hors pair plus qu’un théologien, Mgr Bugnini. En 1949, alors qu’il est directeur de la revue Ephemerides liturgicae, il lance une grande enquête qu’il intitule « Pour une réforme liturgique générale ». Et il justifie son titre : « Ou la réforme liturgique sera générale ou elle finira par ne satisfaire personne parce qu’elle laissera les choses comme elles sont, avec leurs déficiences, leurs incongruités, et leurs difficultés ». Bugnini était un précurseur.
Le pape Pie XII avait lui-même lancé l’idée d’une réforme liturgique (il avait d’ailleurs caressé la possibilité d’organiser un Concile). Comme tout bon chef, il avait créé une Commission, qu’on appellera ensuite la Commissio piana : elle siègera sans grands enjeux, même après sa mort. Pourtant, le pape Pacelli avait fait œuvre de réformateur, en retraduisant entièrement le psautier de saint Jérôme, dont le latin n’était pas assez classique au goût des cicéroniens mitrés. Résultat ? La traduction Bea, partout imposé avec autorité, qui substituait un latin de fort en thème au latin poétique (parfois jusqu’à l’obscurité) utilisé par saint Jérôme au IVème siècle. Echec cinglant de cette première réforme ; personne ne voulut de ces nouvelles traductions. Mais cela ne découragea nullement les réformateurs en herbe, parmi lesquels Mgr Bugnini.
Il avait compris deux choses : dans ce temps – les années 60 du siècle vingtième -, le prurit du changement est très fort, ceux qui changent ont raison a priori. On peut toucher à tout, même au latin de saint Jérôme, on peut échouer, comme Pie XII a échoué avec la traduction Bea, mais il faut être avec le pape. Et surtout il faut savoir être prudent et ne prendre personne de front. « Remittatur quaestio post concilium » dit souvent le Rapporteur Bugnini : on verra après le Concile. Fin manœuvrier, notre homme montre son savoir-faire en organisant les réunions de préparation pour la première constitution conciliaire, qui porte justement sur la liturgie, Sacrosanctum concilium. C’est un texte qui ouvre beaucoup de portes et ne va au bout de rien, un texte prudent, qui, en cette qualité, a pu recueillir les signatures de la quasi-unanimité des Pères conciliaires. Alors qu’il est plutôt en marge du Concile lui-même, le Père Bugnini fait la rencontre qui va changer sa vie : le cardinal Montini, archevêque de Milan, prône un large recours aux langues vernaculaire. Bugnini a trouvé son homme. Quelques semaines plus tard, cet homme devient pape sous le nom de Paul VI, avec un mandat : continuer le Concile.
Mais comment réformer ? Fait unique dans l’histoire de l’Eglise, le pape Paul VI n’hésite pas à doubler l’administration officielle de l’Eglise. Il crée une structure qui s’appellera modestement Consilium, le Conseil, mais qui, directement issue du Concile, considèrera qu’elle a tous les pouvoirs. A sa tête le cardinal rouge, Lercaro, archevêque de Bologne. Le secrétariat est confié au Père Bugnini. C’est lui qui va créer de toutes pièces, en faisant appel à des évêques et à des experts du monde entier, une machine à pondre des textes, et cela dans tous les domaines, du martyrologe au Bréviaire, de la consécration des vierges aux exorcismes. Le sommet bien sûr : les nouvelles « prières eucharistiques » appelées à se substituer au Canon romain. Yves Chiron cite le théologien Louis Bouyer, racontant dans ses mémoires comment telle prière eucharistique fut écrite sur un coin de table dans une trattoria du Trastevere. Bugnini veillait au rythme de production de son Think-tank ! C’est à lui que l’on doit attribuer l’extraordinaire efficacité de la réforme romaine de la liturgie.
Comment expliquer sa disgrâce et qu’il ait été brutalement envoyé comme nonce à Téhéran (après qu’on lui ait proposé l’Uruguay) ? Yves Chiron examine soigneusement l’hypothèse souvent avancée : on aurait découvert que Bugnini était franc-maçon. Dans Il faut que Rome soit détruite, Marc Dem racontait avec verve Bugnini oubliant sa serviette, avec des documents compromettants prouvant son affiliation. Nous sommes au temps de la splendeur de la Loge P2. Tout est possible. Yves Chiron ne trouve pas de preuve à charge. Il ne cite pas Marc Dem, qui lui-même ne citait pas ses sources… Il semble que la véritable raison de la disgrâce pontificale tient plutôt dans la manière dont Bugnini, sûr de son pouvoir sur le pape, avait tenté de faire passer en force de nouvelles prières eucharistiques. Il fallait bien arrêter d’une manière ou d’une autre la machine à produire en chambre. On peut dire que l’Eglise ne s’est pas relevé de cette réforme à marche forcée, qui, loin de remplir les églises comme on pensait naïvement qu’elle le ferait, les a implacablement vidées dans le grand bazar des années 70.
Un livre à méditer. Une biographie qui sera demain un lieu théologique sur les origines de la nouvelle messe. [ publié dans regards sur le monde le 18 février 2016 ]